Marie-Jeanne Richard, présidente de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam), réagit au rapport d’information remis le 18 septembre dernier par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale en conclusion des travaux de la mission relative à l’organisation de la santé mentale en France.
Le 18 septembre, les députées Caroline Fiat (FI) et Martine Wonner (LRM) ont présenté devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale leur rapport sur l’organisation territoriale de la santé mentale, après un an de travail et de recherches. Les parlementaires y soulignent la saturation totale d’un système « au bord de l’implosion », pensé dans les années 1960, maintes fois réformé, complété, amendé, et qui, près de 60 ans plus tard, continue de dysfonctionner.
Le constat est grave, mais il n’est pas nouveau. Ces 130 pages sont les dernières nées d’une longue lignée de rapports politiques, publics ou associatifs, qui dénoncent inlassablement les mêmes problèmes : pas assez de lits, un désengagement financier progressif de l’État, une organisation en secteurs de plus en plus complexe, un manque de dialogue entre les acteurs de la santé mentale. Un constat auquel nous pourrions ajouter des délais d’accès aux soins incompatibles avec l’urgence de soigner la souffrance des personnes, une non-reconnaissance des troubles fonctionnels responsable du handicap d’origine psychique, des pratiques insuffisamment tournées vers le rétablissement et un manque patent de dispositifs d’accompagnements conduisant, in fine à la détresse de tous.
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Des malades, bien-sûr, qui sont les premiers concernés, avec de réelles pertes de chance selon les territoires.
Des professionnels, ensuite, dont le malaise a de nouveau conduit à un « Printemps de la Psychiatrie », en janvier de cette année.
Mais aussi des familles, des proches, dont on parle peu.
Les familles en détresse
En France, on estime qu’une personne sur cinq est susceptible de développer, à un moment de sa vie, des troubles psychiques. Une personne sur cinq, et combien d’amis, de parents, d’enfants, de conjoints, de frères et de sœurs… qui soutiennent chaque jour leur proche dans la détresse ? Ce sont ceux que l’on appelle les « aidants familiaux », qui vivent la maladie et le handicap au quotidien, engagés de fait dans la chronicité des troubles de leur proche.
Pour eux, être proche aidant, c’est être présent à chaque instant, vigiles bienveillants, soutiens moraux, ressources financières et administratives, accueils de jour comme de nuit, forcément solides, solides pour deux.
Pour eux, les dysfonctionnements et la complexité du système font douloureusement écho à l’angoisse suscitée par la maladie. Car pour eux, il n’y a pas de vigilance, pas de soutien moral, pas de soutien administratif, pas ou si peu de ressources financières, pas d’accueil, ni de jour, ni de nuit.
A leur solitude s’ajoute aujourd’hui la crainte de voir se déliter le système qui devrait pouvoir leur apporter, parfois, du répit ; un système dont ils se sentent encore souvent exclus, alors qu’ils devraient en être des partenaires clés.
L’ambulatoire sans moyens : un vœu pieu
Alors lorsque les parlementaires appellent à un grand virage de l’ambulatoire, insistant sur la nécessité de désengorger les hôpitaux, une seule question s’impose : avec quels moyens ? Oui, l’ambulatoire, l’extrahospitalier est une nécessité absolue, pour ne pas exclure les personnes de la Cité. Mais en l’absence de politiques publiques coordonnées, de parcours de soins lisibles, d’accueils de qualité et de dispositifs d’accompagnement adaptés en nombre suffisant, il reste un vœu pieu qui fait reposer avant tout sur les familles la prise en charge de la maladie.
Faisant suite à l’adoption d’une proposition de loi relative à la reconnaissance des aidants, la ministre de la Santé a récemment annoncé la création d’un congé « proche aidant », indemnisé à hauteur de 40 euros par jour. Évidemment, ces aides sont mieux que rien ; en certaines circonstances, elles peuvent même s’avérer précieuses. Mais elles constituent un écran de fumée, qui cache la réalité du quotidien des familles.
Être aidant, c’est sacrifier une partie de sa vie au soutien de son proche. C’est vieillir plus vite, souvent développer une maladie chronique soi-même, en ayant eu chevillée au corps la nécessité d’être là pour l’autre sans que personne ne soit là pour vous. Alors une journée indemnisée, oui, c’est bien, mais c’est évidemment insuffisant.
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Aider les malades, c’est aussi aider les aidants
Ce ne sont pas d’aides ponctuelles dont ont besoin les aidants, mais d’un accompagnement au long cours. Sur le plan professionnel, qu’on leur permette d’adapter momentanément leur temps de travail, leurs horaires, pour répondre aux situations de crise. Car le maintien dans l’emploi et au-delà, la possibilité d’évoluer, sont mis à mal par la maladie d’un proche, a fortiori pour les femmes qui sont souvent en première ligne et se voient contraintes de mettre entre parenthèses leur vie professionnelle.
Sur le plan personnel, qu’ils puissent bénéficier de formations sur les maladies psychiques, pour mieux les comprendre, appréhender le parcours de rétablissement de leur proche, afin de garder espoir.
Mais la meilleure façon d’aider les aidants, c’est encore d’aider la personne elle-même : lui offrir un accompagnement digne, lisible, sans rupture dans le parcours de soins et de vie, en lui permettant de retrouver son autonomie pour que chacun occupe sa juste place.
Le personnel soignant dans le soin ;
Le secteur médico-social dans l’accompagnement ;
Les personnes malades psychiques, au cœur d’une société réellement inclusive, ce qui suppose une volonté politique de faire de la destigmatisation de ces maladies une cause nationale ;
Et soulagés, épaulés par les acteurs professionnels, les proches pourront enfin regarder l’avenir avec plus de sérénité.
Marie-Jeanne Richard
Source : LaCroix.com