— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Malgré les menaces sur l’économie mondiale, l’économie de la Guadeloupe résiste et affiche la confiance. Mais tel n’est pas exactement le cas en Martinique, car une récente étude de l’INSEE, révèle une perte importante du nombre d’emplois à l’échelle de la Martinique, mais avec des résultats contrastés.
131 200 : c’est le nombre d’emplois recensés en 2016. En une décennie, l’INSEE constate la perte de 1 700 emplois à l’échelle de la Martinique. Le vieillissement de la population en est la cause première. Il faut y ajouter les départs vers la France continentale, en augmentation régulière depuis 2010.
Les causes sont connues. Les conséquences commencent de l’être : ralentissement de l’activité, panne des investissements, perte d’attractivité dans tous les domaines, sentiment d’absence de perspectives.
La morosité gagne du terrain et s’installe subrepticement dans les esprits des décideurs martiniquais. Mais à noter un bon point souligné par l’IEDOM (Institut d’Émission des Dom) , c’est le tourisme, dont tous les indicateurs sont au vert. Le nombre de passagers qui transitent à l’aéroport Aimé Césaire ainsi que les nuitées sont en progression. Quant au nombre de croisiéristes, il a dépassé les 218 000 visiteurs, fin mars 2019. Pour ce qui concerne la Guadeloupe , l’Insee nous apprend que 127 200 Guadeloupéens occupent un emploi, soit 32 % de la population. Si la croissance démographique peut stimuler l’économie, le tissu productif est également un facteur d’attractivité. Ainsi, malgré la baisse de la population (– 0,2 % par an) entre 2006 et 2016, l’emploi progresse au rythme de 0,4 % en moyenne par an grâce à la bonne santé économique de l’île en début et en fin de période . En d’autres termes, l’économie de la Guadeloupe connaît une embellie que l’IEDOM traduit par la progression de l’indicateur du climat des affaires. Après une croissance soutenue du PIB de la Guadeloupe (+3,4 % en volume), les chefs d’entreprises interrogés par l’IEDOM font état d’une nouvelle progression de leur activité . Le climat des affaires est ainsi favorable sur les trois premiers trimestres de l’année, avant une inflexion probable en fin d’année, compte tenu du contexte déprimé de l’économie mondiale .
Un peu plus de dix ans après la crise des subprimes aux Etats-Unis, la perspective d’une récession mondiale avec un nouveau séisme économique est-il imminent ? Récession . Le mot est lâché, et il fait peur. Toutes ces tensions commerciales créent un ralentissement des économies avancées et émergentes. « Etant donné la forte intégration des chaînes de production » entre la Chine, les Etats-Unis (20% des importations américaines viennent de Chine) et le reste du monde, les investisseurs se méfient et le système financier se retrouve paralysé.
Un cercle vicieux se met alors en place : les économies sont interdépendantes, et, comme avec un château de cartes, il suffit qu’un élément flanche pour faire s’écrouler la structure tout entière. S’ensuivraient alors une augmentation généralisée des faillites d’entreprises et du chômage, terreau fertile aux tensions sociales.
Face aux nuages qui s’accumulent sur l’économie mondiale, la Martinique est certes une île mais elle ne va pas pouvoir rester immune face au ralentissement des échanges de l’économie mondiale . Après les tensions récurrentes entre les Etats-Unis et la Chine, qui dominent le climat économique, les récentes attaques qui ont paralysé une partie de l’industrie pétrolière saoudienne ont ajouté un surcroît d’inquiétude. Les Martiniquais et leurs élus seront-ils prêts à accepter les taxes, les restrictions, les contraintes pour l’économie ou l’inconfort actuel des institutions qui peine à accompagner le changement de paradigme souhaité dans l’idéal par la population Martiniquaise ? C’est toute la question, sans réponse à ce jour, ce champ de tension restant inexploré.
En Europe , les signaux ne sont pas plus encourageants. L’Allemagne montre déjà une tendance négative, le Royaume-Uni n’en finit pas de s’embourber dans son Brexit, l’Italie retient son souffle entre deux crises politiques, et le moral économique des Français est au plus bas, selon une étude parue à mi-septembre.
Pourtant, on ne sent pas la même préoccupation en Guadeloupe et en Martinique . Politique de l’autruche ou confiance légitime? Les économistes de l’Insee paraissent pencher pour la deuxième réponse, car pour l’instant, le climat de consommation ne souffre pas de ces soubresauts. On ne sent pas davantage les banques tirer sur le frein à main du crédit. Ni, qui plus est, le consommateur se dire qu’il vaut mieux épargner que dépenser. Trois facteurs qui, cumulés, entraînent pour l’heure une bonne tenue du marché intérieur. Mais ne nous réjouissons pas trop vite, car il devient manifeste que ce sont les 10 prochaines années qui vont apporter leur lot majeur de révolutions technologiques et humaines. Le développement massif de la robotisation, de l’intelligence artificielle, du numérique , vont apporter des changements fondamentaux. Or, la société Martiniquaise et guadeloupéenne donne actuellement le sentiment systématique de subir les effets des révolutions technologiques plus que de les anticiper . Il nous faut une impulsion nouvelle et un dynamisme nouveau pour attaquer ces problèmes. Nous devons retrouver cette ambition de changement et pour ce faire revoir en profondeur voire refonder notre modèle économique et social actuel , seul moyen qui nous amènera à nous dépasser !
Jean-Marie Nol, économiste.
Titre original : Fléchissement économique pour la Martinique en fin 2019 , mais paradoxalement embellie des indicateurs pour la Guadeloupe.