— par Dorothée Browaeys Présidente de TEK4life, journaliste et autrice —
Faut-il revoir le logiciel de notre économie, à savoir les normes comptables, pour « sauver le vivant » ? Tel est le sujet explosif du Tribunal pour les générations futures qu’organise TEK4life le 30 septembre, au barreau de Paris.
Les dirigeants des pays du G7, réunis à Biarritz du 24 au 26 août, étaient mis au pied du mur. Les services d’urgence de la planète ont fait sonner toutes les alarmes : il faut traiter d’un seul geste les risques d’effondrement financier, écologique et social. Et curieusement, l’ambulance pourrait bien venir du monde économique. Car les coûts de l’inaction face aux dégâts climatiques et biologiques sont désormais vertigineux. Le dérèglement du climat coûtera 1 000 milliards de dollars d’ici cinq ans aux 215 plus grandes entreprises mondiales. Et l’OCDE estime les pertes des services écosystémiques entre 1997 et 2011 à une valeur comprise entre 4 000 et 20 000 milliards de dollars par an, auxquelles s’ajoutent les pertes imputables à la dégradation des terres, situées entre 6 000 et 11 000 milliards de dollars par an. Il n’est plus question d’écoper dans un bateau qui coule. L’économie doit virer de bord !
Le monde économique comprend de plus en plus clairement que les destructions induites par une industrie inconséquente reviennent à scier la branche sur laquelle il prospère. Il n’est plus possible d’en rester à compenser à la marge les dégâts (comme le réalisent les efforts de RSE). Les entreprises se sentent désormais vulnérables… L’exemple de Bayer, qui a perdu 40 % de sa capitalisation boursière en moins d’un an après avoir racheté Monsanto, fait office de repoussoir. La performance économique hors sol n’est plus fiable pour les États comme pour les investisseurs qui exigent des informations extrafinancières (loi NRE, loi Grenelle 2, puis directive européenne sur le reporting extrafinancier). Mais chacun sent obscurément que ces rustines ne suffiront pas à une véritable intégration des valeurs écologiques et sociales dans le système de décision des entreprises. Car, en effet, les externalités des activités industrielles – qu’elles soient négatives, car destructrices, ou positives – sont encore aujourd’hui mises hors radars, pour estimer les performances des organisations.
Des approches nouvelles proposent d’ouvrir le capot du moteur économique et de convertir son logiciel, à savoir les normes comptables. L’objectif est d’opérer le maintien non plus seulement du capital financier, mais aussi du capital naturel et humain. Faire en sorte de protéger l’habitabilité de la terre en conservant les milieux de vie. Il s’agit d’intégrer la nature dans les stratégies d’investissement, comme le préconise le rapport « Into the wild », publié par WWF en mai dernier, à la demande du ministère de la Transition écologique et solidaire. Cette démarche est au cœur de l’ambition de la chaire partenariale de comptabilité écologique portée par AgroParisTech, qui sera lancée le 3 septembre à l’Unesco. Ce réseau académique et industriel expérimente des méthodologies qui visent à inscrire le capital social et le capital environnemental au sein des bilans comptables.
Dans la foulée, le 30 septembre, TEK4life, qui encourage des pratiques « biocompatibles », organise un Tribunal pour les générations futures, sur le thème : « Changer de comptabilité pour sauver le vivant ? » Jacques Richard sera mis en accusation pour subversion. Cet économiste, ex-professeur à l’université Paris-Dauphine, propose en effet une méthode alternative, Care (comptabilité adaptée au renouvellement de l’environnement). Cette comptabilité en triple capital détourne le principe d’amortissement du capital financier en l’appliquant à deux autres actifs toujours négligés, les capitaux naturel et humain. Ce procès fictif révélera la portée des conventions comptables, qui seront mises en discussion publique grâce à d’éminents témoins et avocats.
L’événement arrive à point, alors que les députés Mohammed Laquila et François-Michel Lambert travaillent à un projet de loi sur l’évolution des normes comptables. Un sujet central traité en 300 pages dans le rapport publié fin juin par Patrick de Cambourg, président de l’Autorité des normes comptables, en prévision du G20 à Osaka. Ces initiatives s’inscrivent dans une dynamique internationale d’incitation à refonder la raison d’être des entreprises.
Dernier ouvrage paru : L’Urgence du vivant, vers une autre économie (François Bourin, 2018).
Source : L’Humanité.fr