— Par Agnès Chareton —
INTERVIEW – Marlène Benquet, sociologue au CNRS, a enquêté dans les coulisses d’une grande enseigne de distribution. Derrière la caisse, auprès des ressources humaines et des syndicats, elle a voulu comprendre pourquoi il y avait « si peu de résistance » malgré la dégradation des conditions de travail. Elle livre son expérience dans Encaisser, aux éditions La découverte.
Lefigaro.fr: Comment avez-vous eu l’idée de vous immerger dans le monde de la grande distribution?
Marlène Benquet: Je trouve que c’est un secteur particulier car il emploie plus de 600 000 personnes en France, ce qui est colossal. C’est aussi un secteur emblématique d’un triple mouvement qui caractérise nos économies: la tertiarisation, la féminisation et la précarisation. C’est enfin un secteur extrêmement demandeur de main d’œuvre.
Comment avez-vous mené votre enquête?
Marlène Benquet, 30 ans, est sociologue au CNRS. © Editions La Découverte
Je voulais travailler par la méthode de l’observation participante, en comprenant de l’intérieur comment s’organise le travail à différents échelons d’une entreprise. J’ai d’abord travaillé comme caissière en tant qu’étudiante. Ensuite j’ai travaillé au sein de Force Ouvrière (FO), l’organisation syndicale majoritaire, et au sein de la direction des ressources humaines, en toute transparence, en disant que je faisais une thèse de sociologie.
Que vouliez-vous montrer?
Je voulais comprendre comment, alors que c’est un secteur qui se dégrade, il y a si peu de conflictualité au travail. Pourquoi est ce qu’on ne se révolte pas davantage dans ces énormes groupes sous tension? Il s’agissait de reconstruire la chaîne qui relie une consigne de profit dictée par un actionnaire et tout en bas des centaines de milliers de caissières.
Vous affirmez que dans la grande distribution, «ça ne craque pas». Pour quelle raison?
Ca craque plus qu’avant. Ce sont des secteurs où il y avait des taux de conflictualité très faibles. Mais depuis le milieu des années 2000, de plus en plus d’actions collectives sont menées. En 2008, la première journée collective d’action a eu lieu dans tout le secteur de la distribution. De manière générale, il y a plus de résistance au travail si on pense qu’on peut obtenir quelque chose de mieux. Les syndicats ont par exemple mené une grande procédure judiciaire contre Carrefour qui ne payait pas les temps de pause, et ils ont obtenu gain de cause.
Vous décrivez dans votre livre des situations drôles, absurdes, choquantes. Quelles anecdotes de la vie quotidienne vous ont marqué?
Ce qui m’a marqué pendant l’entretien de recrutement pour être caissière, c’est qu’on ne m’a pas tellement expliqué en quoi consistait le métier. Ce qui était mis en avant, ce n’était pas des critères de compétence mais des critères disciplinaires et d’endurance. Il fallait être capable de faire ce qu’on vous dit sans contester. Malgré ce qu’on peut entendre, j’ai trouvé que c’était un métier assez compliqué, notamment retenir toutes les procédures d’encaissement ou les numéros de téléphone des gens des rayons. J’ai fait par exemple beaucoup d’erreurs de rendu de monnaie.
Avez-vous constaté également un malaise chez les cadres?
http://www.lefigaro.fr/emploi/2013/06/01/09005-20130601ARTFIG00286-conditions-du-travail-la-grande-distribution-commence-a-craquer.php