— Par Yves-Léopold Monthieux —
L’article de Raphaël Confiant paru dans Montraykréyol le 14 août 2019 fait un balayage de divers sujets qu’il semble avoir eu du mal à résumer dans le titre Cela proviendra sans doute de la crise française et mondiale… L’écrivain évoque sans le dire l’indépendance de la Martinique, qui devrait, à l’image de ce que fut le cas pour les ex-colonies anglophones, relever plus de l’initiative de la France que de la volonté des autochtones. Il serait davantage question de largage que de conquête. Pas très glorieux. Reste que vis-à-vis de la France, la Martinique ne peut être que dedans ou dehors, l’entre-deux ”autonomiste-nationaliste” ne peut pas signifier la fin du colonialisme, l’objectif visé.
Moins attendu, il n’y a pas grand-chose à redire de la description de l’évolution économique de la Martinique qui serait passée de « l’économie coloniale productive » à « l’économie départementale improductive ». Sauf que la ”coloniale” était une économie de la misère comme l’est partout dans le monde l’économie de la canne, tandis que la ”départementale” est, selon le mot de Cabort-Masson, « l’économie des Koweitiens sans pétrole ». On peut simplement observer que la survie de l’économie de la misère a été longtemps le seul horizon des ”Koweitiens” martiniquais nostalgiques de l’usine.
Du largage et de l’économie, l’écrivain passe au racisme, celui subi en terre métropolitaine par les Domiens. Plus précisément au racisme de basse intensité qu’il distingue du racisme de haute intensité éprouvé par les Africains et les Arabes. Protégez-moi du racisme de haute intensité, celui de la basse, je m’en charge, serait-on tenté de s’écrier. Ainsi défini, ce racisme est une charge de plus versée au panier du maudit BUMIDOM. Comme si cet organisme était une source inépuisable de motifs d’attaques contre l’Etat. Comme si en l’absence de cet organisme, devenu l’ANT puis l’ADOM, le domien n’aurait pas souffert de racisme. Mais le boulevard est ouvert. En évoquant le « transfert massif de toute une jeunesse vers la France par le biais du BUMIDOM », Raphaël Confiant prête sa plume à l’antienne selon laquelle l’institution aurait vidé la Martinique de ses forces vives. ”Toute une jeunesse”, une jeunesse entière. Une fois écrite de belle plume, l’allégation n’a pas besoin d’être précisée ni justifiée.
La détestation convenue du BUMIDOM découlant du roman national martiniquais, la vérité ne lui est donc pas opposable. Et il est de bon aloi de laisser la jeunesse dans l’ignorance que de 1962 à 1982, la population martiniquaise est passée de 270 000 à 325 000 habitants, malgré un ralentissement au milieu des années 1970. Soit 55 000 habitants ou 20% d’augmentation en 20 ans ! Même si les départs libres, la venue de Français de France et une marge d’erreur possible doivent être compris dans ces chiffres, et malgré les mesures de contrôle des naissances, la population autochtone n’a pas cessé de croître. La surpopulation qui, sans doute pour bien faire peuple, va dans le sens des nationalistes, est donc la conséquence directe de la départementalisation. A cet égard, on peut s’étonner que l’envolée de la démographie, dite galopante, qui a donné lieu à la formule malheureuse argent-braguette, n’ait jamais heurté les bonnes âmes. Cependant, il a pu être déconcertant pour certains qui, reprochant à la France la néo-colonisation, de voir se développer une évolution démographique favorable à son enracinement.
Revenons au racisme de basse intensité, présenté par Raphaël Confiant comme « le plus pervers, le plus sournois ! Celui qui vous mine jour après jour et contre lequel il est très difficile de lutter ». La description doit être écoutée et la leçon, entendue ; pas l’idée du grattage de l’épiderme dont nous sommes les champions. Mais ces mots peuvent aussi décrire le racisme vécu comme le parler créole ou l’air qu’on respire, contre lequel on ne cherche pas à lutter : le racisme entre Martiniquais, qui pourrait s’appeler le racisme de la peau sauvée. D’où les expressions comme Ou za nwè, soti an soleye-la, ou le plus noir est le plus en déveine ; d’où le mépris du Chaben pour le Noir, du Noir pour le plus noir, du Mulâtre pour tous les autres ; d’où la Chabine jalousée car la moins noire de la fratrie, la Chabine pwel si, assignée au purgatoire avant d’être nommée Chabine dorée, la ou le Noiraud-la-Blanche objet de quolibets dans la cours de récréation.
Les perversités sournoises de ce racisme de troisième type font aussi mal que les Noirdine où les Blandine, et valent bien dans la détestation les plaisanteries lourdingues de Paris. Elles devraient davantage préoccuper car elles imprègnent notre société. Pas la société métropolitaine, mais la nôtre propre, ici en Martinique, dans nos familles, nos métiers, nos loisirs. Des ”tolérances” qui ont parfois précipité des jeunes dans les bras du BUMIDOM, estimant que le racisme est plus pénible à vivre en Martinique à travers les remarques et allusions des siens, et plus douloureux de le lire dans les yeux de son patron, ses beaux-parents, ses amis, son professeur, que lorsque ces travers sont exprimés par les autres.
Un journaliste martiniquais avait écrit qu’il n’était pas grave, au nom des habitudes locales, qu’un un élu de collectivité invective ses collègues par des expressions comme « sakré syrien ». Votre serviteur avait réagi en écrivant que « si ce sont des habitudes, elles sont mauvaises, il faut en changer »
Fort-de-France, le 16 août 2019
Yves-Léopold MONTHIEUX