— Par Caroline Constant —
Le cinéaste iconoclaste est mort hier après-midi, à l’âge de 86 ans, après soixante films et beaucoup de télévision.
Il était l’un des personnages les plus truculents et les plus irrévérencieux du cinéma français : le cinéaste Jean-Pierre Mocky est décédé hier après-midi, à l’âge de 86 ans, ont annoncé son gendre Jérôme Pierrat et son fils le metteur en scène Stanislas Nordey. Avec ses soixante films, qui ont connu des succès critiques et publics variables, le réalisateur a toujours revendiqué son désir de totale indépendance et sa boulimie d’histoires, parfois outrancières, sur le monde contemporain.
L’indépendance était le prix de sa liberté de créateur
Sa vie même est une fiction : il est certes né en 1933 à Nice. Mais ses parents, juifs, qui voulaient l’exiler en Algérie pendant la guerre, lui ont fourni de faux papiers, qui le font naître en 1929. Il a eu son bac à 13 ans, s’est marié et a eu son premier enfant la même année. À la fin de sa vie, bravache, il revendiquait dix-sept enfants. Mais l’essentiel est évidemment ailleurs.
Il croise le cinéma, alors qu’il vivote à Paris de petits boulots. Il fait sa première apparition, dans les Visiteurs du soir, de Marcel Carné, en 1942, comme acteur. Et c’est d’ailleurs comme acteur qu’il entame, sérieusement, sa carrière, sous la protection de Pierre Fresnay. Il passe par le conservatoire de Paris. Mais, faute de rôles en France, il va jouer en Italie, y devient le stagiaire de Luchino Visconti sur Senso et de Federico Fellini sur la Strada. De retour à Paris, il monte sa première boîte de production et dirige avec Georges Franju son premier film, la Tête contre les murs (1959), tiré d’un roman d’Hervé Bazin. Un film dont Jean-Luc Godard lui-même dira qu’il est « un film de fous sur les fous. C’est donc un film d’une beauté folle ». Il travaille alors avec tous les grands noms de l’après-guerre : Raymond Queneau le conseille pour le scénario d’Un couple, Jean Anouilh pour monter les Vierges (1963), Marguerite Renoir, épouse de Jean Renoir, l’initie au montage. Il apprend à maîtriser toutes les techniques du cinéma, du scénario à la direction d’acteurs, en passant par le cadre ou le montage. Il a même poussé encore plus loin, en achetant des salles de cinéma, quand il a commencé à être moins distribué au début des années 2000, pour y projeter, entre autres, ses films.
Dans son histoire avec le cinéma, Jean-Pierre Mocky a très vite compris que l’indépendance était le prix de sa liberté de créateur. Il a monté plusieurs maisons de production, et avait la réputation de tourner vite, très vite, des films à petit budget. Mais avec de grands noms d’acteurs, toujours, de Bourvil à Catherine Deneuve, en passant par Michel Simon ou Jean Poiret, Jeanne Moreau ou Thierry Frémont. Il a aussi, dans des films vachards, voire satiriques, mis au jour la bêtise de notre société. À ce titre, son film À mort l’arbitre, qui dénonçait les excès dans les stades, est sorti en salles un an tout juste avant le drame du Heysel, en 1985, qui a provoqué la mort de 39 personnes. Dans ses films, comme Un drôle de paroissien (1963), il montre aussi tous les petits travers de la société. Comme ce gars (Bourvil) qui vole les troncs d’églises pour réussir à vivre. La satire, le pamphlet, n’est jamais bien loin chez lui.
Sur les plateaux télévisés, il était un personnage hors normes
Jean-Pierre Mocky a été un cinéaste prolifique, qui a mené ses projets, avec acharnement, en tournant le dos à tout un système. Sur les plateaux télévisés, il était aussi un personnage hors normes, qui ne répondait pas poliment aux questions posées, et n’hésitait pas à employer un langage fleuri, ni à sortir de ses gonds. Dans ce paysage culturel si lisse, il va manquer.
Caroline Constant