—Par Marius Gottin —
Je vais au théâtre. Cela implique que j‘accepte de réintégrer provisoirement le tumulte et le tracas, fussent ils atténués en ce début de soirée, de la Ville. Mais là je ne suis pas vraiment en ville mais dans sa périphérie proche, à Bellevue. Une scène m’attend que je découvre au bout de tentures noires qu’éclaire la lampe bizarre que l’on m’a remise à l’entrée, avec conditions d’utilisation et tout…
De la sciure de bois, deux femmes immobiles vêtues de noir assise, agenouillée, une manière de tombolo au milieu de tout cela et « Quelques histoires d’amour très très tristes » du cubain Ulises Cala, la dernière création du Théâtre Si, s’anime…
Deux heures plus tard, on en sort baffé, pris à la gorge et aux yeux et au coeur par cette débauche de mots et de gestuelle où tournent devant nous, dans une sommation sans équivoque, Dieu omniprésent,(bizarrerie à mes yeux de ce Cuba de la fin du siècle dernier mais n’est ce pas une des étrangetés, et de l’auteur et du metteur en scène, deux rebelles ?) plus quelques personnages et non des moindres de l’Illiade et de la (petite ?) et grande histoire…
Quatre comédiens se dédoublent, se transforment, en échangeant et en enchaînant rôles et discours, sexes et problématiques dans un maelström cathartique qui interpelle et dérange jusqu’à l’exaspération finale et éructante de ce Job biblique, enfin nu sous nos yeux…
Il ne faut pas aller au théâtre comme moi au bout d’une semaine chargée comme un prunier de cythère en pleine saison; à intervalles, on a le corps qui lâche et les paupières lourdes mais la magie (la force ?) du théâtre prend toujours le dessus et les femmes arbres qui volent, les agressions des corps, des questions en abîme sont là pour nous le rappeler.
Manifestement et cela vaut pour les gens qui comme moi ont eu tendance à faire peu de concessions à une forme de grand guignol réussie qu’ont pu prendre certaines (pas beaucoup heureusement) des créations de Yosvani, force est de lui reconnaître, dans l’intimité de ce mini cirque de Bellevue superbement revisité par son autre double, Ludwin Lopez, que notre cubain national, qui cultive avec un art consommé son français chantant qui fleure bon les boléros de fin d’après midi, s’est livré devant nous à un déballage où j’ai trouvé, plus souvent que rarement, le grand souffle lyrique, brûlant et fondamental de l’acte théâtral brut, total et en perpétuel questionnement (mais c’est à cela que servent les multiples représentations) dans notre monde chic de l’« esthétiquement correct ».
Je continuerai d’aller au théâtre.
PS :Mylène B est partie aujourd’hui rejoindre tous les grands Miles,, Cole Porter, Gershwin, Mona, Marius Cultier dont les musiques avaient tissé la voie lactée et bleue sur laquelle sa voix exceptionnelle savait si bien danser…
So long, babe
Blasé ?
Marius Gottin