— Par Philippe Pierre-Charles, Groupe Révolution Socialiste.
Avec presque la larme à l’œil, dans une atmosphère ruisselant de bons sentiments, les élites politiques, économiques voire intellectuelles (cela va parfois ensemble !) multiplient les scènes de congratulations, ébahies de vos prouesses scolaires sous les flashs d’une presse aux anges, trop heureuse de montrer qu’à côté, voire à l’opposé, d’une poignée de délinquant-e-s dangereux/ses, il y a celles et ceux, en nombre, qui travaillent, réussissent et représentent l’espoir. Comme quoi, les choses ne vont pas si mal que çà …
Sans vouloir jouer les gâcheurs professionnels de fête, l’envie me prend de vous parler à hauteur du sérieux et de l’intelligence dont vous venez de faire preuve en réussissant brillamment vos examens.
D’abord pour vous avouer que la joie que j’éprouve pour vos succès prometteurs n’égale pas l’inquiétude que je partage avec beaucoup pour des générations entières dont vous n’êtes que l’écume florissante. Il y a quelques jours un million de jeunes lycéen-ne-s et collégien-ne-s dans le monde ont fait la grève des cours et ont pris les rues pour clamer : quel avenir nous réclame-t-on de préparer quand dans le même temps la destruction de l’espèce humaine (parmi des milliards d’autres !) s’accélère vertigineusement du fait des politiques menées et de l’irresponsabilité d’un système aveugle à tout ce qui n’est pas son profit égoïste ? Quelle cohérence y a-t-il à prôner la passion pour les sciences quand les propos et les écrits de l’immense majorité des scientifiques les plus reconnu-e-s sont ignorés, voire même franchement combattus ?
Il est mathématiquement ( …à vrai dire chimiquement, biologiquement, climatiquement, sociologiquement ..! ) prouvé que le capitalisme régnant nous mène à la mort dont le sort des migrant-e-s dans la Méditerranée, à la frontière du Mexique, en Libye et ailleurs ne nous donne qu’un avant-goût apocalyptique. Les bonimenteurs répondent que ce sont vos travaux futurs de savant-e-s en herbe qui nous sauveront des sargasses, du chlordécone, des algues vertes, de l’envahissement du plastique, des virus, des enfants qui meurent de faim (un toutes les 6 secondes ! ), des catastrophes climatiques déjà commencées, des inégalités qui font que quelques êtres humains possèdent autant que la moitié de l’humanité, des guerres sournoises ou déclarées, du racisme dont l’inanité scientifique est démontrée depuis belle lurette, du chômage de masse qui n’en finit pas de détruire l’une de nos principales richesses, et de l’humiliation généralisée de celles et ceux d’en bas par les maîtres du monde et leurs valets ! Comme c’est curieux que les flatteries bruyantes faites à votre intelligence ces jours ci n’empêchent pas leurs auteur-e-s de vous prendre pour des demeuré-e-s ..dès qu’il s’agit de sciences sociales pour lesquelles il est vrai leur enthousiasme n’est pas débordant !
J’aimerais moi vous exhorter à prendre plutôt pour exemple les Einstein, les Joliot-curie, les Gilles de Gènes, les Noam Chomsky, les Cheik Anta Diop, et tant d’autres, alliant le génie scientifique à la lucidité politique la plus critique.
À la veille pour vous d’aventures individuelles que je vous souhaite fructueuses, j’ai envie de vous louer la beauté incommensurable (et la grande fragilité!) de l’aventure humaine et de vous citer encore et encore le vieux Rabelais pour qui « sciences sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Sauf qu’aujourd’hui l’âme…n’est pas seule menacée !
Que le petit pécule que certaines et certains d’entre vous ont reçu (une aubaine pour la plupart d’entre vous, un rien pour les plus gros donateurs) vous serve à aller de l’avant mais ne vous empêche pas de garder à l’esprit l’essentiel : notre sort à tous et à toutes dépend fondamentalement de l’aptitude des plus lucides et des plus généreux, et d’abord dans les nouvelles générations, à faire corps avec le plus grand nombre dans notre combat en même temps pour notre survie et notre épanouissement en tant que peuple martiniquais, et en même temps pour l’émancipation humaine et le sauvetage du vivant qui sont des tâches d’aujourd’hui, d’ici et de partout.
Sur cette voie impérieuse, mais sinueuse et parsemée d’embuches, il est essentiel de ne pas vous laisser abuser par une clique de «décideurs» autoproclamés, ne voyant dans l’urgence écologique que l’opportunité de l’heure pour satisfaire l’insatiable appétit de richesse d’une minorité prédatrice, et perpétuer sa funeste domination.
FDF le 14 juillet 2019
Philippe Pierre-Charles, Groupe Révolution Socialiste.