— Par Yves-Léopold Monthieux —
En ce début de siècle bien entamé, la Martinique se retrouve dans une situation politique qui inquiète et provoque le départ massif de jeunes de tous niveaux d’études et de formation. Le sujet est pris en charge par la sénatrice Catherine Conconne, à travers une formule qui sonne comme un slogan électoral, alé – viré (aller – retour), le viré rappelant la lettre « A » du RMA (Revenu minimum d’activité) qui se fait toujours attendre. Bref, l’élue nationale française l’a compris que c’est en marchant qu’on se fait un chemin.
Reste que la Martinique est à un moment de vérité né de la conjonction de plusieurs phénomènes. D’abord, les progrès obtenus au rythme des conflits sociaux ont permis d’élever l’indice de développement humain (IDH) au rang le plus élevé. Par ailleurs, de l’école maternelle à l’université, les progrès obtenus dans le domaine éducatif ont été exceptionnels. Le succès ne fut pas moindre, s’agissant de la formation des adultes par le SMA et l’AFPA. En revanche, l’échec de l’économie paraît consubstantiel au statut de département d’Outre-Mer. Le corollaire en est l’inaptitude à créer des emplois, le départ du trop-plein de forces vives et le besoin d’encadrer ces départs. Aussi, supprimé en 1981, le BUMIDOM a promptement ressurgi de ses cendres sous des vocables nouveaux. Si l’ANT a tenu sans grand succès le discours de l’aller-retour (plus de 40 % de jeunes formés en métropole y sont restés), l’ADOM dont l’ambition est la mobilité des jeunes se révèle être quasiment une agence de voyages sans retour. Quoi qu’il en soit, les forces vives n’ont jamais manqué en Martinique. Seuls ont manqué et manquent encore de l’activité économique, des emplois et des créateurs d’emplois.
Ainsi donc, malgré les retours de migration et la venue d’étrangers, la population a baissé de 20 000 habitants en moins de 10 ans. Même dans l’hypothèse improbable où le nombre fétiche de 5 000 emplois était atteint, on serait encore très loin du compte. Or, alors que le chômage et la fuite de la jeunesse atteignent des proportions stratosphériques, revient l’argument fallacieux qui a servi pendant 70 ans. Trente ans après la disparition du BUMIDOM, on voudrait lui imputer la fuite des cerveaux des années 2000. A cet égard, la fantaisie des chiffres étalés pour pourfendre l’institution est confondante. Celui de 40 000 migrants martiniquais émis par la sénatrice est pour le moins surprenant, dès lors que les archives qui sont à la portée de tous attestent que les 70 650 migrants passés par le BUMIDOM se répartissent comme suit : 16 562 pour la Martinique, 16580 pour la Guadeloupe et 37 473 pour la Réunion.
Quoi qu’il en soit, le BUMIDOM n’a pas empêché à la population de croître de 270 000 habitants, en 1960 (recensement national de 1962), à 325 000 en 1980, soit 55 000 habitants de plus (augmentation de 20%) ; puis à 401 000 en l’an 2000. Soit une augmentation de 131 000 habitants en 40 ans (48,50%). Si l’on s’en tient au discours de l’honorable parlementaire, la population idéale pour développer la Martinique devrait s’élever à plus de 500 000 habitants. On peut se demander en quoi une centaine de milliers d’habitants de plus (plus du ¼ de la population actuelle) conduirait au développement d’un territoire sans économie qui détient déjà le record de densité démographique pour les DOM. Est-ce par la poursuite de la bétonisation et du mitage de nos campagnes ? Est-ce par l’augmentation du parc automobile et des ronds-points ? Est-ce par l’exposition de notre île à davantage de dégâts environnementaux ? Ou est-ce par l’accroissement du volume de la jeunesse inoccupée ? Bref, les présupposés démographiques peuvent-ils pallier l’absence récurrente de projet martiniquais ?
Fort-de-France, le 29 juin 2019
Yves-Léopold MONTHIEUX