—Par CHRISTINE DETREZ sociologue, maître de conférences à l’Ecole normale supérieure de Lyon, RÉGIS MEYRAN anthropologue, chercheur associé au Lirces (Nice-Sophia antipolis) —
A l’heure où le mot de race vient d’être supprimé de la législation et où des députés poursuivent leur cabale contre l’enseignement des théories du genre en SVT, le Monde publie un texte de Nancy Huston et Michel Raymond (1), intitulé «Sexe et race, deux réalités», surprenant de par son caractère rétrograde. Les sciences humaines et sociales sont accusées par les auteurs en question de «cécité volontaire» vis-à-vis des sciences de la nature, ces dernières seules ayant le privilège de dire ce que sont la race, le sexe et même la réalité.
C’est là opposer fictivement deux camps : car il n’existe pas un unique point de vue, ni en «sciences de la nature» ni en sciences sociales. Il est du reste naïf de penser que les premières produisent des «faits avérés et irréfutables» et les secondes seulement des «mythes modernes».
En ce qui concerne la notion de race, les deux auteurs affirment : «les groupes humains génétiquement différenciés existent», ce qui est une parfaite banalité. Evidemment que les groupes, et même tous les individus pris un à un, sont différenciés génétiquement. Le problème est plutôt de savoir comment construire et classer différents groupes humains. Et c’est là que le bât blesse. En effet, la «race» est un concept scientifique à la fois inutile et d’une grande imprécision, à l’histoire longue et chaotique.
Au départ équivalente à la variété ou sous-espèce (échelon inférieur à l’espèce) chez les premiers naturalistes, cette notion a été l’objet spécifique de l’anthropologie dite «physique». Elle fut alors «mesurée» d’abord sur les crânes à l’aide du fameux indice céphalique et d’une débauche d’outils qui apparaissent aujourd’hui plus improbables les uns que les autres – d’autres critères physiques, comme la couleur de la peau ou le type de cheveu, ayant été sollicités en renfort.
Au XXe siècle, c’est dans les caractéristiques sanguines puis dans les gènes, avec la découverte de l’ADN (1944), qu’on chercha à distinguer les races. Les résultats furent et restent on ne peut plus flottants : selon l’époque et le point de vue de l’auteur, certains ont cru dénombrer quatre races, d’autres trois cents…
A la Libération, et en réaction aux abominations nazies fondées sur la logique raciste, d’autres ont affirmé qu’il n’y avait qu’une seule race humaine. Sur le plan de la répartition géographique, pas mieux : selon les auteurs et la période, une race pouvait se réduire à la circonférence d’un village ou au contraire atteindre la taille d’un continent.
Enfin, dans les colloques scientifiques qui ont jalonné le XXe siècle, personne n’est jamais arrivé à un quelconque consensus sur la notion de race, laquelle a été régulièrement remise en question par les esprits les plus éminents, de Paul Topinard (1891) à Henri Neuville (1936) en passant par Franz Boas (1911).
Depuis l’avènement de la génétique des populations, les chercheurs préfèrent se concentrer sur l’échelon directement supérieur, l’espèce, ou celui qui est en dessous, la population, ces deux concepts étant bien plus solidement identifiés. Le généticien Luigi Cavailli-Sforza, évoquant justement l’aspect extrêmement «vague» du concept, affirmait en 1993 : «Dans l’espèce humaine, l’idée de « race » ne sert à rien.» Pour Jean Gayon, ce concept n’est pas pertinent appliqué à l’être humain. Les spécialistes actuels de la classification phylogénétique du vivant, tel Guillaume Lecointre, ne font d’ailleurs aucune référence à la race.
En ce qui concerne la notion de «sexe», selon Huston et Raymond, mâles et femelles se différencieraient génétiquement «pour une partie de leur comportement». Or le paléontologue Stephen Jay Gould affirmait dès 1977 : «Quelle preuve directe avons-nous que le comportement social humain est sous le contrôle des gènes ? Pour le moment, la réponse est : aucune.»
Mais, en outre, qu’est-ce qu’un «comportement» et comment en faire une typologie qui soit objective et fonctionnelle ?
Lire la suite sur Libé 27 mai 2013 à 19:06
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Lire aussi
Sexes et races, deux illusions
— Par Alexis Jenni (Agrégé de sciences naturelles, prix Goncourt 2011) —