— Par Jack Dion —
Au Théâtre du Vieux-Colombier, Pauline Bureau met en scène « Hors la loi », centrée sur le procès de Bobigny qui débouchera sur la loi autorisant l’IVG. Où l’on (re)découvre un grand moment de la lutte féministe.
Sans le procès de Bobigny de 1974, il n’y aurait peut-être jamais eu, deux ans après, la loi Veil autorisant l’IVG. De cette épique époque, on a retenu les noms des femmes célèbres qui osèrent monter au front de la contestation, envers et contre les dogmes d’une pensée claquemurée, en publiant le « Manifeste des 343 », une liste de 343 femmes qui s’accusaient du délit d’avortement. Mais il ne faudrait pas oublier le courage de toutes ces femmes anonymes qui firent éclater le scandale de leur condition, qui osèrent témoigner à rebours des conventions dominantes et des mœurs ancestrales. Avec la pièce intitulée Hors la loi, Pauline Bureau leur rend un hommage amplement mérité.
Le personnage central s’appelle Marie-Claire Chevalier (Martine Chevallier). On la découvre d’abord telle qu’elle est aujourd’hui, âgée de 60 ans, mais marquée à jamais par ce qui lui est arrivé en 1971. Elle vivait alors avec sa mère (Coralyn Zahonero), employée de la RATP et sa sœur (Sarah Brannens), partageant son temps entre sa famille et l’école, son petit appartement et ses copains.
Il suffira d’un soir pour que sa vie bascule. Un de ses potes, Daniel, la viole après lui avoir fait écouter le 33 tour d’une idole naissante nommée Johnny Hallyday. La jeune Marie-Claire (Claire de La Rüe du Can) plonge alors dans un double drame : le viol plus la grossesse.
Que faire ? Pour la mère, pas question que sa fille se mette des fers aux pieds alors qu’elle sort à peine de l’enfance. Avec l’accord de Marie-Claire, elle fait ce que faisaient alors toutes les femmes qui n’avaient pas les moyens d’avorter en relative sécurité médicale : elle s’adresse à une « faiseuse d’ange », comme on disait, une dame pratiquant l’avortement clandestin à domicile, aux risques et périls de la jeune fille. Cette dernière s’en sortira, sauf qu’elle sera dénoncée et se retrouvera aussitôt pris dans les filets de la police, qui traquait les avortées anonymes comme si elles étaient de redoutables malfaiteurs.
Alors entre en scène Gisèle Halimi (Françoise Gillard). La célèbre avocate s’était déjà fait connaître durant la guerre d’Algérie. Elle est l’une des signataires du « Manifeste des 343 ». Elle propose à la famille traumatisée de défendre sa cause en transformant le tribunal en salle d’accusation contre la loi interdisant l’avortement. Elle demande à Marie-Claire Chevalier et à sa mère d’assumer leur choix, ce qu’elles feront sans hésiter, malgré la pression morale de l’époque. Elle fait défiler à la barre des personnages étrillant les tabous, à commencer par Simone de Beauvoir (Danièle Lebrun). Elle plaide pour la libération des femmes, pour leur droit de choisir en toute conscience. Elle obtiendra satisfaction, preuve que dans certaines circonstances, on peut escalader des montagnes paraissant inaccessibles et faire triompher des causes apparemment perdues.
Pauline Bureau, connue pour prôner un théâtre engagé, mène sa barque en tenant la barre d’une main ferme, comme à son habitude. Elle ne cherche aucune fioriture qui détournerait l’attention. La scénographie est sobre, qui permet de passer de l’appartement à la salle de tribunal. La première partie de la pièce, celle où se joue le drame, manque un peu de rythme, surtout en comparaison de la seconde, lors de la reconstitution du procès, quand Gisèle Halimi entre en scène. Les applaudissements qui montent de la salle, où l’on note une présence inhabituelle de jeunes femmes, attestent d’un succès mérité. Il est des combats qui impriment le respect. Encore faut-il savoir les restituer sur une scène de théâtre dans toute leur complexité sans tomber dans le prêchi-prêcha larmoyant. Avec Pauline Bureau, ce risque n’existe pas.
> Hors la loi. Texte et mise en scène Pauline Bureau. Théâtre du Vieux-Colombier jusqu’au 7 juillet.
Source : Marianne