— Par collectif —
Malgré la multiplication des plans annonçant leur réduction depuis plus d’une décennie, l’utilisation des pesticides en agriculture continue d’augmenter en France. Face à ce constat, le gouvernement lancera début juin le programme prioritaire de recherche « Cultiver et protéger autrement », doté de 30 millions d’euros. Ce dispositif est conçu pour développer des solutions de remplacement agronomiques et technologiques aux pesticides et les déployer ensuite vers les agriculteurs. Mais les travaux sur les impacts des pesticides sur la santé humaine et environnementale et les coûts que ceux-ci impliquent pour la société sont exclus des appels à projets.
Le 9 mai, le gouvernement a annoncé le lancement d’un appel à projets sur les effets des pesticides dans le cadre d’Ecophyto2 +. Doté de seulement 2 millions d’euros, il ne permettra pas de couvrir toutes les problématiques. Pourtant, la connaissance de l’étendue et de la profondeur des impacts des pesticides et la façon dont ils pèsent sur la société est un levier indispensable pour accélérer la transition vers d’autres modes de production, et complémentaire au développement d’alternatives aux pesticides. Pour être à la hauteur des enjeux, une programmation plus ambitieuse est nécessaire.
De plus en plus de données montrent que les pesticides contribuent pour une grande part à la chute dramatique de la biodiversité, avec des conséquences en chaîne sur les écosystèmes et, comme l’illustre l’exemple des abeilles et autres insectes pollinisateurs, sur l’agriculture elle-même et in fine sur l’alimentation.
Des données probantes existent par ailleurs sur les impacts plus directs des pesticides sur la santé humaine. On sait notamment que certaines pathologies comme les cancers du sang et de la prostate et la maladie de Parkinson sont en surincidence chez les travailleurs agricoles exposés aux pesticides. On sait également que les équipements de protection, pierre angulaire des autorisations de mise sur le marché des pesticides, ont dans la réalité une efficacité relative et limitée et sont souvent inadaptés aux conditions du travail agricole, en particulier concernant la pénibilité et la chaleur.
La multi-exposition des travailleurs agricoles ou des riverains à une diversité de pesticides n’est pas prise en compte dans les évaluations des risques. La potabilisation de l’eau ou la fermeture des captages d’eau rendue insalubre engendrent des coûts qui sont facturés aux consommateurs. Dans les territoires d’outre-mer, certaines cultures sont interdites du fait de la pollution des terres par les pesticides. Malgré tous ces éléments, il n’existe encore aucune évaluation précise des coûts que génèrent les pesticides pour la société à travers leurs effets sur la santé et sur l’environnement. La connaissance de ces coûts, au sens large, serait pourtant décisive pour mieux orienter les politiques publiques.
Les effets des pesticides sont complexes à documenter. D’une part parce qu’ils se conjuguent à d’autres facteurs et processus pouvant impacter la santé humaine et l’environnement, et d’autre part parce qu’ils peuvent être différés de plusieurs dizaines d’années. La question de leur évaluation s’adresse à de nombreuses disciplines scientifiques, dont la toxicologie, l’épidémiologie, l’écotoxicologie, la chimie, l’écologie, l’agronomie, la nutrition, l’ergonomie et les sciences humaines et sociales.
Quantifier les risques
La recherche scientifique doit travailler sur tous les fronts pour synthétiser les connaissances existantes et en produire de nouvelles. Elle doit aider à mieux comprendre l’état de santé des travailleurs agricoles exposés, en prenant en compte le développement de la sous-traitance et du travail saisonnier et les degrés réels d’exposition.
Elle doit quantifier les effets des pesticides sur les populations humaines riveraines, mais aussi sur celles, plus éloignées, qui sont touchées par la contamination des nappes phréatiques et de l’air, ainsi que par les résidus de pesticides dans l’alimentation.
Elle doit évaluer les coûts de prise en charge des malades pour les systèmes sociaux de santé. Elle doit quantifier les impacts sur l’ensemble des êtres vivants, sur la perte des services écosystémiques (telle la pollinisation) induits et son incidence sur la santé humaine. Elle doit permettre d’améliorer les critères d’évaluation des risques présentés par des pesticides en prenant en compte les avancées des connaissances sur leurs effets possibles sur le métabolisme, l’épigénétique et les perturbations endocriniennes.
Les travaux doivent aussi permettre d’analyser les processus de construction sociale de l’ignorance et du déni, et de mettre au jour les phénomènes de visibilisation ou d’invisibilisation des savoirs autour des pesticides et de leurs effets. Ils doivent informer sur la façon dont les controverses et le débat public sont alimentés et cadrés par des acteurs aux intérêts divergents et aux ressources inégales.
La recherche publique doit apporter des preuves scientifiques et éclairer la décision publique sur les plans technique (coûts d’acquisition des preuves, niveau minimal de preuves pouvant soutenir la décision), éthique (valeur de la vie humaine et de la biodiversité, justice environnementale) et démocratique (accès à ces preuves par différents groupes sociaux). Elle peut ainsi renforcer les outils à disposition de l’éducation et du conseil pour induire des changements de pratiques significatifs.
L’analyse des effets et des impacts des pesticides doit être portée par la recherche publique, en toute indépendance et transparence, au service des citoyens et citoyennes et au nom du bien commun de la préservation de la nature et de ses écosystèmes. A travers des approches pluridisciplinaires et participatives, tant sur les questions que sur les méthodes, la recherche doit se saisir de tous ces enjeux si elle veut pouvoir constituer un réel appui pour une transition vers une réduction significative de l’usage des pesticides.