— Par Laurence Aurry —
Il faut saluer l’initiative d’ETC Caraïbe et remercier Michèle Césaire et le Théâtre de Fort-de-France pour les lectures dramatiques publiques organisées dans les jardins du théâtre les 8 et 9 avril derniers.ETC Caraïbe ( Ecritures Théâtrales Contemporaines en Caraïbe) est une jeune association dynamique qui s’est donné pour mission de susciter et de promulguer la création dramaturgique dans le bassin caribéen. Depuis quatre ans, elle organise des concours d’écriture permettant l’émergence et la révélation de jeunes talents. En partenariat avec le Rectorat et la DRAC, elle a mis en place dans les établissements scolaires et les prisons des rencontres avec des metteurs en scène, des acteurs et des auteurs confirmés. Dans les locaux de Fonds Saint-Jacques, éditeur, auteurs dramatiques viennent régulièrement animer des ateliers d’écriture pour les apprentis-dramaturges.
ETC Caraïbe œuvre à l’ouverture et au métissage culturels. Avec ces intervenants de tous horizons (cubains, vénézueliens, canadiens, français, africains…) et ses actions dans de nombreuses villes en France (Paris, Avignon, Toulouse…) et à l’étranger (Montréal, Caracas, bientôt New York…) ETC Caraïbe offre une chance extraordinaire de faire rayonner notre culture insulaire et de nous ouvrir au monde.Ainsi, les lectures dramatiques, organisées dans les jardins du Théâtre de Fort-de-France, nous ont permis de découvrir deux auteurs.Le mardi 8 avril, les comédiens, ont lu des extraits de deux œuvres de Gustave Akakpo, jeune écrivain togolais talentueux. Les acteurs, Daniely Francisque, Jeannick Cazalis, Aliou Cissé, Eric Delor, Patrick Lenamouric et Hervé Deluge dirigés par le metteur en scène, Lucette Salibur, ont su donner vie à deux textes forts, Petites pierres et La Mère trop tôt qui abordent des problèmes cruciaux comme la guerre ou la lapidation dans une langue à la fois mordante et suave où se mêlent humour, vivacité, brutalité, une vraie langue serpent ! Pour nous faire entrer dans l’univers particulièrement tourmenté de La Mère trop tôt, Lucette Salibur a opté pour une mise en espace très suggestive : les jeux de reprises, d’échos, le dédoublement, la démultiplication des personnages donnent déjà à voir et à entendre les errements et les absurdités de la guerre. Un beau jeu de résonnance.Le mercredi 9 avril, c’est un écrivain martiniquais, Alfred Alexandre, déjà bien connu pour son roman sulfureux, Bord de Canal, qui nous a présenté une création dramatique, remarquée lors du dernier concours d’écriture d’ETC Caraïbe, La Nuit caribéenne. Avec La Nuit caribéenne, il se lance dans l’aventure théâtrale comme il lance ses personnages, Georges et son frère Frantz sur l’océan, avec force, violence, sans compromis. Le texte, d’une beauté sauvage, charrie tous les regrets, les amertumes, les mensonges, les désillusions, les rêves perdus de ces deux frères qui dressent un triste bilan de leur existence.
Les deux acteurs, Aliou Cissé et Rudy Sylaire, dirigés par le metteur en scène, Arielle Bloesch ont parfaitement traduit l’antagonisme qui oppose les deux frères. On comprend bien que leur expérience individuelle se transforme en épopée sociale ratée. Mais le dialogue souffre de quelques longueurs à la fin de la première et de la deuxième partie. Les personnages ressassent leurs reproches avec des mots qui perdent eux aussi de leur force. Cependant, la troisième partie qui aboutit à la révélation, atteint une grande intensité. La Nuit Caribéenne est un texte prometteur qui mériterait encore quelques remaniements et éclaircissements pour porter loin et haut ce regard profondément critique sur l’engagement politique et révolutionnaire, l’honnêteté, l’intégrité et la conscience morale. Petite Pierre, La Mère trop tôt et La Nuit caribéenne, trois pièces qu’on espère voir représenter bientôt sur nos scènes. (Pour information, Gustave Akakpo sera présent en Martinique fin avril / début mai et animera un atelier d’écriture dramatique. Renseignements auprès d’ETC : (0696) 27 88 81 ) )
Laurence AURRY