— Par Régine Bellay, Secrétaire départementale du Snuipp-FSU —
Marqué par une restructuration majeure de l’organisation de l’école et un autoritarisme manifeste distillé au fil de ses articles, le projet de loi dit « l’école de la confiance » ne s’attaque à aucune des difficultés du système éducatif. Au contraire, il risque bien de les creuser. Le SNUipp-FSU ne laissera pas faire. Pour un ministre qui dès son installation rue de Grenelle avait claironné que son nom ne serait pas associé à une énième loi sur l’école, Jean-Michel Blanquer se distingue.
Annoncé à l’origine pour donner un cadre législatif à l’instruction obligatoire dès 3 ans, le texte a enflé au fil des semaines pour devenir, à l’issue des débats à l’Assemblée nationale, un projet de loi qui inquiète à bien des égards.
Silence dans les rangs !
Le ministre avait bien promis de modifier l’article 1 de son projet de loi pour lever toute ambiguïté sur une possible volonté de mise au pas des enseignants.
Il n’en a finalement rien été. Et bien que paraissant de peu de portée, sa rédaction introduit une réelle volonté de contrôle de l’expression des personnels. Les voilà prévenus. La mesure annoncée par le président de la République à l’occasion des Assises de la maternelle était à l’origine de cette loi : le passage de l’instruction obligatoire de 6 à 3 ans.
Une mesure assez symbolique a priori — 98 % des enfants de 3 ans sont déjà à l’école — sauf peut-être dans certains départements d’Outremer où déjà la scolarisation effective de tous les enfants à 6 ans est à la peine. Mais « le diable » se cache dans les détails et c’est l’obligation de financement des écoles privées sous contrat par les communes qui se trouve ainsi étendue aux élèves d’âge maternel. C’est un cadeau estimé à 150 millions d’euros aux écoles privées que les municipalités vont devoir sortir de leurs poches déjà bien écorchées. Et un financement qui risque de se faire en baissant le budget consacré aux écoles publiques.
Les délices de l’auto-évaluation
On ne l’avait pas vu venir, et c’est pourtant une disposition majeure du projet de loi, un amendement introduit en catimini à l’occasion de la discussion en commission parlementaire institue les « établissements publics locaux des savoirs fondamentaux » (EPLSF). Des structures regroupant administrativement dans un même établissement, collège et écoles de la même zone de recrutement. La direction de ces EPLESF serait confiée au chef d’établissement du collège exerçant à la fois les compétences du premier et du second degré. A ses côtés exercera un chef d’établissement adjoint chargé des classes du 1er degré, issu du 1er degré et dont le recrutement sera fixé par décret.
L’objectif est d’en finir avec la direction d’école sous sa forme actuelle, en introduisant un statut hiérarchique dans le premier degré, en dépossédant une partie des actuels directeurs de leurs missions et en les renvoyant dans leur classe. Ce qui est loin de l’annonce faite de la création d’ un statut pour les directeurs. Par ailleurs, la dénomination même de ces nouveaux établissements interroge. Limiter la mission des écoles à la transmission du « lire, écrire, compter et respecter autrui », les fondamentaux du ministre, témoigne d’un réel manque d’ambition. Il reste bien loin de satisfaire aux exigences d’un solide socle commun de connaissances, de compétences et de culture indispensable à la formation des futurs citoyens.
Mais il est vrai qu’à côté de ces établissements, la loi prévoit également la création d’établissements publics internationaux (EPLEI), offrant un cursus d’élite aux happy few. Curieuse conception de « l’élévation du niveau général » et de « la justice sociale » proclamées par Jean-Michel Blanquer lors du vote à l’Assemblée.
Sans doute surpris par la levée de bouclier suscitée par la disposition, le ministre est néanmoins resté droit dans ses bottes, supprimant sans autre forme de procès le CNESCO, organisme indépendant d’évaluation du système scolaire.
Un organisme pourtant unanimement salué pour la qualité de son travail, avec notamment ses remarquables conférences de consensus qui permettaient de croiser apports de la recherche et expérience des acteurs pour faire avancer l’école.
Le CNESCO sera remplacé par un Conseil d’évaluation de l’école (CEE), directement rattaché au ministère qui nommera dix de ses membres sur quatorze.
Il sera dès lors aisé pour le ministre d’obtenir les bonnes réponses aux seules questions qu’il se sera posé à lui-même.
Reste que c’est bien d’un pilotage du système éducatif par les résultats, d’un encadrement étroit des pratiques pédagogiques, qu’il est question.
Avec pour corollaire une mise en concurrence des établissements et pour les enseignants une dépossession de leur liberté pédagogique ainsi que la rémunération au mérite.
Formation initiale : la mèche est allumée. Réforme territoriale : l’ordonnance est avancée. Le projet de loi supprime les Espé et les remplace par les « Inspé » (Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation) dont les directeurs seront directement nommés par le ministre. Une autre forme de mise au pas pour mettre en place un référentiel de formation aux objectifs méconnus mais pour lequel le ministre a obtenu un blanc-seing des députés. La partie émergée d’une vaste réforme de la formation initiale à venir, dont à ce jour n’est formalisé qu’un aspect : le prérecrutement d’assistants d’éducation qui pourraient faire la classe en M1. Une façon comme une autre de résoudre les problèmes de remplacement à moindre coût. Revenant sur la fusion des quelque trente académies en treize rectorats de région, le ministre semble souhaiter conserver un recteur par académie. La répartition des attributions entre ceux-ci et les super-recteurs de région restent en revanche à définir. Pour ce faire, blanc-seing lui est donné, il pourra procéder par ordonnances et donc faire à peu près ce qu’il veut. Il en ira de même pour pouvoir modifier la composition et les attributions des conseils académiques et départementaux de l’Éducation nationale, (CAEN et CDEN), consultés sur l’organisation du système éducatif dans les territoires (la carte scolaire notamment).
EPLESF : le ministère tente de déminer
Ce projet de loi, initialement conçu pour acter l’obligation scolaire à 3 ans prend aujourd’hui une tout autre dimension. Pour le SNUipp-FSU, il dessine les contours d’évolutions structurantes à bien des égards très contestables. Il fait par ailleurs l’impasse sur le traitement des difficultés bien réelles de l’école, n’ouvrant pas le moindre horizon à une démocratisation de la réussite scolaire pour tous les élèves. C’est désormais aux sénateurs d’en débattre à partir de début avril et le syndicat entend bien les alerter sur les multiples dangers de cette loi. Quoi qu’il en soit, la mobilisation de l’ensemble des personnels et des partenaires de l’école est à l’ordre du jour du SNUipp et de la FSU. Ils s’adressent dès à présent à l’ensemble de la communauté éducative en ce sens pour en définir ensemble les modalités. Le SNUippFSU a été reçu jeudi 28 mars par le cabinet du ministre au sujet de l’article du projet de loi « pour l’école de la confiance » créant les établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux (EPLESF).
La présence remarquée des personnels des écoles dans les cortèges le 19 mars dernier, les multiples actions et réactions qui ont lieu dans de nombreux départements, la journée de samedi 30 mars semblent avoir mis la rue de Grenelle sous alerte. Dans les médias mais également dans les rencontres qu’il tient avec les organisations syndicales le ministre est bien obligé de se lancer dans de longues explications de textes pour tenter de calmer une colère qu’il a lui-même provoquée. Le ministère assigne trois objectifs à la création de ces EPLESF : répondre à la volonté de maintien d’un maillage territorial, développer le continuum pédagogique primaire/collège et pérenniser les équipes pédagogiques dans les zones les moins attractives. Il n’a pas pour autant été en mesure de répondre en quoi la création des EPSF permettait de les atteindre, hormis le lien école-collège qu’il justifie notamment par une mutualisation des moyens. Pour le SNUipp-FSU, cet article du projet de loi, écrit pour les élus par des parlementaires téléguidés par le cabinet du ministre et ignorant la communauté éducative, dénature et déstructure le premier degré. Le paysage scolaire verrait ainsi cohabiter des écoles avec des statuts différents, incluses ou pas dans un collège, relevant ou pas d’un réseau sous l’égide d’un collège ou fonctionnant comme actuellement.
Des EPLESF, pour quoi faire ?
Le ministère tente de défendre son projet en assurant que le nombre d’EPLESF serait très restreint, que le regroupement physique ne serait pas obligatoire ou que les postes de directions seraient conservés et enfin qu’il sera nécessaire que l’ensemble de la communauté éducative et les élus soient d’accord pour le mettre en place, mais sans pouvoir apporter la moindre garantie. Des éléments qui ne sont pas pour l’instant dans le texte qui arrive au Sénat et que le ministère juge lui-même imprécis. Beaucoup d’autres questions concrètes restent par ailleurs en suspens, le ministère se contentant de les renvoyer aux futurs textes réglementaires : lien avec les familles et les partenaires, hygiène, sécurité, adaptation des locaux, ATSEM, place du conseil des maîtres, du conseil d’école. Ces incertitudes dévoilent un peu plus combien cette loi « fourretout » ne répond pas aux questions posées à l’école. Elles posent en revanche de nombreuses questions et risques de déstabilisation. L’école a besoin d’un autre projet, qui permette de réduire les inégalités et assure la réussite de tous et toutes. C’est ce qui a été exprimé dans les marches de samedi 30 mars dans toute la France puis lors de la journée de grève et de mobilisation le jeudi 4 avril pour exiger l’abandon de la loi Blanquer, notamment l’article 6 créant les EPLESF, et imposer un autre projet.
Le ministère tente de défendre son projet en assurant que le nombre d’EPLESF serait très restreint, que le regroupement physique ne serait pas obligatoire ou que les postes de directions seraient conservés… mais sans pouvoir apporter la moindre garantie.
Régine Bellay