— Par Yves-Léopold Monthieux —
La dimension régalienne des attributions de l’État est souvent perçue comme un obstacle à la valorisation de l’identité martiniquaise. Aussi, la tentation est forte de s’affranchir de cette souveraineté, du moins dans les formes, par toutes initiatives susceptibles d’exorciser la réalité et de donner une couleur à l’identité. Cela passe par la sémantique qui conduit à exclure des mots comme métropole ou outre-mer, à en utiliser d’autres, et par des symboles comme le drapeau national ou nationaliste. En évoquant dans un récent article les attributions de l’État concernant l’Outre-Mer, Raphaël CONFIANT fait inconsciemment le constat que la manifestation de cette prérogative est devenue insupportable à la classe politique martiniquaise et que le pouvoir régalien s’est délité. Il convient de souligner dans de nombreux domaines l’application parcimonieuse de la règle de droit. Dans plusieurs tribunes j’ai essayé de montrer en quoi, en Martinique, le pouvoir régalien était devenu un leurre. Sauf que, loin de jeter le bébé avec l’eau du bain, on se soucie d’en conserver les dividendes.
Comme pour normaliser la réalité du terrain, voilà qu’apparaît le dernier néologisme en date, le « devoir régalien », qui se substituerait au « droit régalien ». Aux yeux de Raphaël CONFIANT, le mot « devoir » parait plus politiquement satisfaisant que celui de « solidarité ». Il serait de bon aloi de faire référence à la notion d’obligation attachée à la condition coloniale du pays, comme l’exigence de réparation l’est pour l’esclavage. Tandis que l’idée de solidarité aurait le grand tort d’être liée au système départemental ou d’appartenance à la France. On songe à l’injonction la France n’a qu’à raquer, parue jadis dans ANTILLA sous la plume de CONFIANT, ainsi que la référence jalouse à la continuité territoriale. Mais ces trouvailles sémantiques ne trompent personne, quant au fond. Elles répondent, pour ce monde politique duplex, à l’éternel besoin de rhabiller l’assistanat à des couleurs idéologiquement présentables.
Déjà, dans un précédent article, l’universitaire écrit que la fonction de parlementaire martiniquais ne sert pas à grand-chose. Il reproche à nos députés et sénateurs d’avoir échoué à obtenir des solutions aux problèmes concernant la chloredecone, les sargasses, le cyclotron, l’université ou l’hélicoptère de la sécurité civile. Mais là où il accuse les élus d’incompétence, il faudrait surtout parler de leur incapacité d’agir, née de la situation dans laquelle ils se sont eux-mêmes emmurée. La classe politique s’est lié les mains par le discours connu de repli identitaire et de rupture, fait de forfanterie à l’égard de l’Etat.
En réalité, la situation actuelle est le résultat d’une politique. Une politique que l’auteur a lui-même recouverte de son magistère intellectuel et universitaire. La Martinique n’a pas besoin de « sous-ministres », a souvent répété Raphaël CONFIANT avec superbe, aidant ainsi à propager le discours d’auto-exclusion. Ce mépris pour la fonction que l’on prête à tort à Aimé CESAIRE (on ne cesse pas de faire parler ce défunt) n’est pas dénué de condescendance à l’égard de deux autres territoires d’Amérique, suspectés de docilité coupable à l’égard de la France. Aussi on ne peut s’étonner que les sous-ministres Christiane TAUBIRA, Victorin LUREL ou Lucette MICHAUX-CHEVRY aient aidé leurs territoires et à damer le pion aux Martiniquais, à peu près dans tous les domaines. Dans une ambiance concurrentielle à laquelle la Martinique, trop grande dame, n’a jamais voulu prendre part.
Qu’un membre de cabinet ministériel ait été viré au motif d’avoir tancé le président guadeloupéen de l’Université des Antilles (UA) qui avait refusé de recevoir une députée martiniquaise, cela montre l’écart de considération observé par l’Etat entre une parlementaire martiniquaise et le président guadeloupéen de l’université des Antilles. Par ailleurs, la médiation décidée par la ministre de l’éducation pour régler le conflit qui oppose les deux pôles de l’UA, loin d’évoquer d’éventuelles mauvaises manières de la Guadeloupe, s’appuie sur la réalité que « le pôle Martinique (sciences humaines et sociales) a vu sa population baisser de 20%, alors que les effectifs guadeloupéens (Staps, sciences, santé) « sont stables » ».
Bref, Raphaël CONFIANT est trop averti de la chose politique pour ignorer que la Martinique paie aujourd’hui le prix de son repli identitaire et de ses rodomontades en série.
Fort-de-France, le 28 avril 2019
Yves-Léopold MONTHIEUX