— Par André Lucrèce, écrivain —
Depuis fort longtemps, nous avons en Martinique accumulé des recherches historiques, des œuvres artistiques et des œuvres littéraires qui ont enrichi notre patrimoine en ces domaines. Il m’apparaît nécessaire de continuer à procéder à une construction active de conservation de ces œuvres.
Le musée est un équipement de loisirs et de connaissance, où dit le législateur, “toute collection permanente est composée de biens dont la conservation et la présentation revêtent un intérêt public et est organisée en vue de la connaissance, de l’éducation et du plaisir du public”. Le musée est en effet un haut-lieu où se décline une intention de faire vivre une poétique du patrimoine qui accueille l’inventivité générée par la tradition ou par la modernité.
Si le tourisme est indispensable au musée, l’inverse est également vrai. Dans une destination “culturelle” à forte connotation identitaire comme la nôtre, il est difficile, voire impossible, de développer une activité touristique sans musée. Ici, vous me permettrez une remarque à caractère sociologique : l’intensification et la diversification des mobilités touristiques, associées aux nouvelles échelles de mobilité et au double mouvement d’internationalisation et d’interconnexion, stimulent indiscutablement la fréquentation des musées.
Le moyen de concilier intérêt du public et développement touristique est de trouver l’équilibre entre contenu culturel et plaisir du public, entre développement touristique et valorisation patrimoniale.
Lors d’un colloque, qui s’est tenu à Fort-de-France en 2017, colloque auquel participaient plusieurs pays de la Caraïbe, Madame Lyne-Rose Beuze a proposé un historique exhaustif des musées de Martinique depuis le XIXème siècle où un petit musée fut créé à Saint Pierre, avant qu’il ne soit détruit par l’éruption de la Montagne Pelée en 1902. Il a fallu attendre 1929 pour voir le premier musée consacré à Joséphine de Beauharnais aux Trois-Ilets, puis les préconisations et l’activité muséale de messieurs Baude et Rose-Rosette dans les années 1930. Seront ensuite créés le Musée Franck Perret à Saint-Pierre en 1933, le musée du Fort Desaix, celui du Fort Saint-Louis, le musée de la Pagerie, puis le Musée Départemental dont l’évolution, entre 1968 et 1983, sera enrichie par la découverte de vestiges archéologiques essentiellement amérindiens.
Avec le Musée d’histoire et d’ethnographie dédié au patrimoine en général, L’Ecomusée de Martinique, le Musée de la Pagerie, La Maison de la canne, le Musée du Père Pinchon et sa collection d’une grande valeur, L’espace muséal Aimé Césaire, le Musée de la banane, le Musée du rhum Saint James, Le Centre de découverte des Sciences de la terre, le Musée Gauguin au Carbet, L’Habitation Clément au François, le Musée des arts et des traditions populaires au Saint-Esprit, La Savane des esclaves au Trois-Îlets, le Musée du Château Dubuc à Tartane, le Musée des coquillages et le Musée de la pêche au Vauclin, la Martinique possède, avec Cuba, le plus grand réseau de musées de la Caraïbe.
Deux musées font cependant défaut. Le premier, dans l’expression d’une tradition devenue rituelle, un musée du carnaval et de la musique m’apparaît nécessaire et envisageable. Le second, un musée montrant toute la richesse des arts plastiques de la Martinique et des Caraïbes est d’une absolue nécessité.
Ce second projet est, semble-il, en bonne voie. Or dans le contexte de l’achèvement actuel de la globalisation terrestre, nous avons tout intérêt à mettre en valeur ce que nous avons engendré, singulièrement en matière d’art, afin d’en avoir conscience pour nous-mêmes, et afin d’offrir au regard de ceux qui nous visitent notre végétation artistique. Ainsi, avec la publication des deux Cahiers du patrimoine consacrés à la musique, j’ai pu mesurer, à travers les réactions, le degré de conscience des lecteurs. J’ai pu voir à quel point le dévoilement de tout ce que nous avions réalisé en matière musicale depuis l’émergence du bèlè jusqu’à la survenue de la biguine-jazz ou, si l’on préfère, du créole-jazz, avait été pour ces lecteurs une véritable révélation : lucidité face à ce qu’avaient pu créer nos ancêtres, conscience bien entendue du chemin parcouru grâce à des talents avérés.
Un musée exposant toute la richesse des arts plastiques de la Martinique et des Caraïbes contribuerait, par la dramatisation fantastique de l’imaginaire de nos plasticiens, à montrer aux Martiniquais toute la valeur de notre fonds d’art et à dévoiler notre univers artistique aux visiteurs de notre pays.
Ayant pendant de longues années, à la demande de plusieurs artistes, accompagné de mes textes des œuvres merveilleuses, du sémillant groupe Fromager jusqu’à Henri Guédon en passant par Chantal Charron ou Laurent Valère et bien d’autres, sans parler des échanges fraternels avec plusieurs de nos artistes, je viens ici soutenir le projet qui s’annonce. Ce musée, que je perçois en œuvres d’art moderne et contemporain, illustrerait cette tension démenée en mystère et en affirmation d’une vocation à dire les Antilles, les Antilles nouées en drame et en beauté, unies en douleurs, mais aussi en lumières.
Un tel projet ensemencerait également sans doute d’indéniables vocations que notre école supérieure d’art aurait alors charge de mener à l’excellence.
André Lucrèce, écrivain