— Collectif —
« Nous n’avons plus le temps d’attendre. Pour démultiplier nos efforts pour le climat et la biodiversité. Pour donner des perspectives aux plus fragiles et isolés d’entre nous. Pour remettre les salariés de ce pays au cœur de la vie économique. Nous n’avons vraiment plus de temps à perdre, alors, comme beaucoup de Français, nous appelons à un profond sursaut politique pour que ce quinquennat ne soit pas un quinquennat perdu pour la transition écologique et la justice sociale.
Mais force est de constater que les dernières semaines ont fait place à un concert de voix politiques en faveur d’une interprétation très réductrice de l’expression des Français. L’urgence de la baisse des dépenses publiques et des impôts serait la principale leçon à tirer de cinq mois d’occupation des ronds-points, de marches pour le climat sans précédents et de quatre mois de grand débat auquel plus d’un million de citoyens et la société civile se sont prêtés.
Là où certains veulent voir un ras-le-bol fiscal, nous voyons un ras-le-bol de l’injustice fiscale.
Le sujet est épineux alors il ne faut pas entendre ce que nous n’écrivons pas. Payer plus ou moins d’impôts et de taxes n’est pas un petit sujet dans le quotidien de chacun. Mais là où certains veulent voir un ras-le-bol fiscal, nous voyons un ras-le-bol de l’injustice fiscale. La nuance est de taille. Et, disons-le, réduire certaines dépenses ne ferait pas de mal à notre pays. Bien au contraire. Que l’on pense notamment aux 12 milliards d’euros dépensés chaque année en soutien aux énergies fossiles, alors qu’il manque tant de moyens pour isoler les 7 millions de passoires énergétiques, garantir l’accès de tous aux services publics ou dans le lien associatif, facteur de lien social et de vitalité démocratique. Mais dépenser mieux n’est pas un préalable à investir plus. Ces chantiers doivent être menés de front.
La rigueur budgétaire portée en totem n’est pas un projet politique.
Notre désaccord avec le discours ambiant est simple. La rigueur budgétaire portée en totem politique, qui prétend diriger un pays le nez collé au taux de déficit public, n’est pas un projet politique. Un pays ne se rassemble pas autour d’enjeux comptables quand ils se traduisent par des coupes aveugles dans les APL ou les emplois aidés. Dans notre vie, nous ne nous réveillons pas en nous demandant quel service public nous souhaitons ratiboiser, alors que tant de services essentiels sont sous-financés, comme la petite enfance, le logement social ou les hôpitaux, ce qui empêche l’accès de tous aux droits de tous. Il n’est plus possible de décider des politiques publiques sans en évaluer l’impact sur les 10% les plus pauvres de nos concitoyens ou au regard des objectifs de développement durable.
Notre pays va mal par manque de dessein collectif, de sens et parce que beaucoup se voient nier le droit de jouer un rôle dans la cité, parce qu’ils ne vivent pas au bon endroit, parce qu’ils ne trouvent pas de travail, parce qu’ils n’ont pas fait les bonnes études, parce qu’ils ne portent pas le bon nom ou parce que la vie n’a pas été tendre avec eux. C’est cela qui forme le terreau de la division et l’objet de notre mobilisation.
L’urgence aujourd’hui est d’investir dans la transition écologique, solidaire et territoriale.
La rigueur budgétaire n’est pas non plus un projet économique, sauf à considérer comme un médecin de Molière que, quel que soit le mal, seule compterait la saignée. L’urgence aujourd’hui est d’investir dans la transition écologique, solidaire et territoriale. Dans les transports collectifs ou individuels moins polluants, dans une rénovation massive de logements au chauffage si coûteux pour le porte-monnaie et la planète, dans l’accompagnement des travailleurs dans leurs parcours professionnels et leur protection sociale, dans la conversion de nos industries et de notre tissu économique, ou dans la transformation agricole des territoires. Ici se rejoignent l’exigence environnementale exprimée magnifiquement par la jeunesse d’Europe, les aspirations à mieux vivre de nos concitoyens et l’attente des milieux économiques pour qui l’investissement public, la fiscalité écologique et les normes ne sont pas des gros mots mais des moyens de concilier virage écologique et prévisibilité économique. Regardons autour de nous. Les principaux pays asiatiques n’hésitent pas à investir massivement dans les technologies vertes. Notre attentisme est une aubaine pour eux, retardant ou compromettant ainsi la création de millions d’emplois en Europe.
Ecoutez cette mobilisation bienveillante et respectueuse, entendez ses attentes, inspirez-vous de ses propositions. Ne laissez pas cette lame de fond pacifique sans réponse. N’alimentons pas les rancœurs et les déceptions qui font le terreau des adversaires de la République. Rien n’est perdu mais l’essentiel reste à faire. La seule chose que notre pays n’a pas les moyens de se payer, c’est du temps. »
Les auteurs de la tribune :
- Nicolas Hulot, président d’honneur de la Fédération Nicolas-Hulot
- Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT
- Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre
- Claire Hédon, présidente d’ATD-Quart Monde
- Orlane François, présidente de la Fage
- Philippe Jahshan, président du Mouvement associatif
- Véronique Fayet, Présidente du Secours Catholique-Caritas France
- Michel Dubromel, Président de France nature environnement
- Patrick Doutreligne Président de l’Uniopss
- Laurent Escure Secrétaire général de l’UNSA
- Jean-Michel Ducomte, Président de la Ligue de l’enseignement
- Jean-Baptiste de Foucauld, Coordinateur du Pacte civique
- Bernard Chevassus-au-Louis, Président de Humanité et Biodiversité
- Morgane Créach, Directrice générale du Réseau Action Climat
- Pierre Segura, Président de la Fédération nationale des Francas
- Pierre Henry, Directeur général de France terre d’asile
Source : LeJDD.fr