Les dérobades de Georges-Louis Lebon

  — Par Roland Sabra —

 

–Au delà de l’épisode bouffon et quelque peu pitoyable dont on aura la narration ci-après un véritable problème se pose pour les représentants du Ministère de la Culture en Martinique : y-a-t il un interlocuteur crédible avec lequel négocier pour mettre fin aux crises de gouvernance à répétition que connait le CMAC? —RECIT—

Monsieur Lebon et moi nous ne partirons pas en vacances ensemble. C’est comme ça! Il y a déjà longtemps que je cherchais à rencontrer l’homme qui a largement contribué à l’aggravation de la crise de gouvernance du CMAC. Toutes mes tentatives étaient restées vaines. Monsieur Lebon sans doute impressionné dans sa jeunesse par la lecture de Henri Laborit n’a gardé en mémoire, de ces écrits qui eurent un certain retentissement dans les années 70 du siècle dernier, que l‘Eloge de la fuite, titre d’un ouvrage célèbre du socio-biologiste. La fuite est en effet une attitude possible devant le poids des responsabilités, des contraintes qu’impose l’ordre social. Il est deux autres attitudes possibles, selon Laborit : la soumission ou la lutte. Rien dans le comportement de Monsieur Lebon ces derniers mois ne laisse penser qu’il se départit de son irrésistible penchant pour la dérobade. Refus de répondre aux courriers des représentants à Fort-de-France du Ministère de la Culture, attitude cavalière à l’égard du cabinet du Ministre, refus de répondre aux demandes d’entretiens qu’il estime déplaisants, interruption grossière de conversations téléphoniques quand elles deviennent gênantes etc. Tous mes efforts pour rencontrer Monsieur Lebon avaient échoué. Pour autant je ne désespérais pas. Je ne suis pas homme à renoncer facilement. Je savais bien qu’un soir ou l’autre il faudrait bien que Monsieur Lebon croise Roland Sabra. Après tout nous fréquentons les mêmes lieux : le CMAC, lui comme Président de la structure de gestion du même nom et moi comme modeste critique de spectacles. Et bien la rencontre a eu lieu Samedi 17 novembre aux environs de 22 heures. Comme elle fût brève je vous la narrer. A la sortie d’un concert, j’aperçois une silhouette, un visage, qui pourrait être celui  publié sur Internet de Monsieur Lebon. Comme je n’avais jamais rencontré le Monsieur, je m’approche prudemment. Lui m’a reconnu. Je ne sais comment mais lui m’a reconnu. A peine a-t-il terminé de donner un programme du CMAC à un spectateur qu’il essaie de se faufiler entre le comptoir de l’accueil et un spectateur. Je l’interpelle : « Vous êtes bien Monsieur Lebon? » « Oui, bonne soirée et au revoir » me répond l’interpellé! J’emboite son pas, lui dit qu’il ne pourra pas se dérober indéfiniment et qu’il vaudrait mieux répondre à quelques questions que légitimement les spectateurs du CMAC peuvent se poser. Il répond tout en marchant devant moi qu’il ne veut pas, qu’il n’a rien à dire. Il va rejoindre une femme de son âge, la cinquantaine bien tassée, qui va s’avérer être une intime. Peut-être y-a-t-il une Madame Lebon? Le dévouement féminin, pour ne pas dire plus est parfois sans limite. Je dis une intime car au moment où Monsieur Lebon commençait à esquisser l’esquisse de l’esquisse d’une réponse, elle  lui coupa le sifflet de façon tout à fait « mèremptoire » : « Tu as dit que tu ne lui parlerais pas et tu es entrain de le faire! ». Et Monsieur Lebon d’obtempérer;. Et Monsieur Lebon de s’interrompre illico au beau milieu d’un mot . Magnanime, je tendais une autre perche à Monsieur Lebon pour tenter de le sortir d’une situation humiliante pour lui. Pensez! La femme près de laquelle il s’était réfugié, poursuivi par mes questions lui ordonne, et en public,  de se taire et Monsieur Lebon réduit à la position d‘infans, c’est-à-dire de celui qui n’a pas la parole, se voit contraint d’obéir! Nous étions là  dans l’exploration de la deuxième possibilité envisagée par le célèbre Henri Laborit,  après la fuite, la soumission! Il ne restait plus, pour les sociobiologistes, qu’une dernière possibilité la lutte: Et d’avoir vu Monsieur Lebon s’engager si courageusement dans les deux premières issues je lançais, persuadé qu’il s’engagerait tout autant dans le jeu des questions-réponses : « Allez-vous organiser une conférence de presse pour présenter le programme? » Et la dame, sans plus de façon, pas tout à fait marchande de poisson, sans vouloir offusquer une profession tout à fait honorable et indispensable, mais presque, de m’interpeller « Vous êtes journaliste? » comme elle aurait dit: Vous êtes de la police? Poser une question à Monsieur Lebon et c’est la Dame qui répond en lieu et place.  Charmante compagnie… La troisième voie qu’évoque donc la sociobiologie, celle de la lutte, était irrémédiablement fermée. La dernière partie de la scène se déroule devant une fonctionnaire du Ministère de la Culture.

Voilà ma rencontre avec Monsieur Lebon qui a néanmoins pris le temps de me photographier avec son téléphone portable et j’ai peine à croire que ce comportement était celui d’un admirateur qui voulait avoir ma photo pour en faire un poster. Et si c’était pour la donner à des sbires, à des troisièmes couteaux?   Allez j’arrête, je délire. Je suis sûr que Monsieur Lebon est à hauteur d’un signifiant. Le sien, celui qui le nomme…

Fin d’une rencontre entre mauvaise bouffonnerie et piteuse pantalonnade. Plus grave est la confusion des genres, des statuts et des rôles que révèle cet épisode. En effet, quand on s’adresse à Monsier Lebon dans l’espace public du CMAC, c’est parce qu’il y exerce certaines fonctions. C’est son statut de Président de la structure de gestion qui l’emporte sur tous les autres. Peu nous importe qu’il soit professeur de gestion dans un lycée professionnel,  père ou amant, joueur de foot ou baptiste.  On est en droit de s’attendre à ce que son rôle soit en accord avec le statut pour lequel il est convoqué. C’est ainsi qu’on attend du policier qu’il se comporte en policier, du juge qu’il se limite à sa fonction de juge etc. Que les individus tiennent le rôle qui  correspond à leur statut permet la prévisibilité de leur comportement  c’est un facteur d’atténuation des tensions sociales, un composant de la paix sociale. Monsieur Lebon ne peut prétendre assister à un spectacle à l’Atrium-CMAC à titre privé. Qu’une tierce personne se permette d’interférer dans une relation sociale qui en aucun cas ne la concerne est une chose, qui relève sans doute de l’éducation. Que Monsieur Lebon laisse cette personne lui dire publiquement ce qu’il doit faire en tant que responsable de la gestion du CMAC dans ses relations avec le public en est une autre symptomatique de la confusion des genres qui caractérise le CMAC. (Voir l’historique de la crise qui traverse l’institution) Si Monsieur Lebon s’en était tenu à son rôle de Président d’une structure de gestion, le CMAC bénéfidierait toujours du label « Scène nationale ».

Qui est le menteur?

Reste tout le questionnement sur le statut de la structure qui devrait naitre de la fusion du CMAC et de l’ATRIUM. Pour le Ministère de la Culture la question devrait être avec qui négocier? Avec l’autre tutelle représentée par David Zobda, , premier vice-président du Conseil général et premier adjoint au maire du Lamentin. David Zobda est un élu, sa légitimité est pleine et entière. La crédibilité de son discours, comme homme politique est par contre sujette à caution. Par exemple quand  à propos du coup de force perpétré au milieu des vacances qui a consisté à changer en douce les serrures du bureau de l’ancienne directrice pour l’empêcher de venir travailler Monsieur Lebon déclare en résumé :  » J’ai agi avec l’assentiment du Conseil général » c’est-à-dire de David Zobda. Mais voilà ce dernier  a toujours démenti cela, disant qu’il avait été mis devant le fait accompli.  Il y a donc au moins un menteur. Interrogé sur une radio, il vante dans un premier temps l’ardente obligation d’ouverture à la diversité culturelle, l’impérieux besoin d’ouverture sur le monde, la nécessité de confrontation avec l’altérité qui doivent animer le CMAC-Atrium. Dans un second temps interrogé sur le profil du futur directeur de la structure, il déclare ingénument : « Le martiniquais qui sera nommé… » avant de se rendre compte que si l’on veut récupérer le statut de Scène nationale, poser comme a priori l’origine martiniquaise du ou de la directrice est irrecevable pour un poste qui relève d’un appel d’offre national.  Double langage classique d’un homme politique? Tentations de petits arrangements avec la Loi?

On le voit la situation n’est pas réglée, entre un homme politique sur lequel pèse un soupçon de double langage et un président de gestion dont le sens du dialogue est pour le moins limité le Ministère de la Culture ne peut que laisser « du temps au temps ». Les ingrédients d’une nouvelle crise de gouvernance « qui n’est jamais tout à fait la même, ni tout à fait une autre. » sont toujours là. Plus que jamais.

R.S. le 18/11/2012 à Fort-de-France