« Emballage perdu » de Véra Feyder

 — par Selim Lander —

Max Darcis, metteur en scène et comédien, dans son atelier

Un filage à Nouméa 

La Nouvelle-Calédonie est grande par sa superficie mais petite par le nombre de ses habitants. Ceux-ci, de surcroît, sont divisés en plusieurs communautés qui ne montrent pas toutes une grande appétence pour le théâtre. Contre vents et marées, Max Darcis parvient néanmoins à faire vivre sur la scène calédonienne, depuis maintenant une dizaine d’années, des spectacles de grande qualité qu’on aimerait pouvoir inviter à Fort-de-France. Les plus anciens spectateurs de Nouméa se souviennent du Horla, d’après Maupassant, où Max Darcis

était seul en scène. Professeur de théâtre, il n’a pas tardé par la suite à constituer une compagnie, Aléthéïa Théâtre, réunissant quelques comédiens talentueux avec lesquels il a monté des pièces souvent dérangeantes, comme une Mademoiselle Julie avec Delphine Mahieu dans le rôle titre, qui faisait ressortir toute la fantaisie et la folie de son personnage, tandis que Max Darcis exprimait à merveille les ambiguïtés du valet, partagé entre la force des conventions et celles du désir, sans oublier l’appât du gain propre à une classe qui côtoie sans cesse la richesse sans la posséder jamais. Autre spectacle mémorable, les Monologues du vagin interprétés en solo par Isabelle Quintin, surprenante comédienne qui démontrait une parfaite maîtrise non pas de son rôle mais de tous les rôles successifs qu’elle devait interpréter.

 

Delphine Mahieu et Isabelle Quintin sont les interprètes du spectacle monté actuellement par l’Aléthéïa Théâtre , Emballage perdu, une pièce à deux voix de Véra Feyder créée à Paris au Théâtre des Mathurins en 1982. Deux amies, Julie et Léna partagent le même appartement mais elles sont aussi dissemblables que l’eau et le feu. Julie est rêveuse, romantique, un peu simplette même, tandis que Léna, froidement réaliste, pratique un humour plutôt cynique. Julie aspire à devenir comédienne et récite des tirades de Phèdre auxquelles elle ne comprend pas grand-chose ; Léna rédige péniblement un mémoire de musicologie consacré à l’oedipe dans Rigoletto.

Le filage de la pièce auquel nous avons pu assister récemment à Nouméa fait déjà ressortir la complexité des rapports entre les deux personnages. Julie est tout d’une pièce. Pour elle, l’amitié est toute simple : elle est prête à faire tout ce qui peut faire plaisir à Léna, par exemple mentir au téléphone pour éloigner les prétendants trop enflammés. Par contre Léna est partagée : elle est à la fois agacée par la naïveté de Julie et attendrie par sa joie de vivre, ses enthousiasmes sans cesse renouvelés. Elle gronde Julie mais elle est toujours prête à s’amuser avec elle. En dépit de leurs différences flagrantes de caractère, il existe une vraie complicité entre les deux personnages, justement exprimée par les deux interprètes.

Delphine Mahieu et Isabelle Quintin

Les répétitions ayant lieu dans un local provisoire et étriqué, il n’est pas encore possible de porter un jugement sur la mise en scène. On peut déjà néanmoins applaudir la transformation du mannequin qui est chargé par l’auteur d’incarner les hommes qui traversent la vie des deux femmes, semant plus souvent le malheur que le bonheur. Suivant l’interprétation retenue par Max Darcis, il n’est plus qu’un homme-tronc que les comédiennes pourront s’échanger grâce à un palan mobile. Cette mutilation est la traduction visuelle des insuffisances des hommes évoqués dans la pièce, de leur incapacité à offrir aux deux personnages féminins ce qu’elles attendent.

Les premières sont prévues avant la fin de l’année, dès que sera achevée la réhabilitation du bâtiment du théâtre qui a été dévasté par un incendie.

[20.09.2007]