— Par Alvina Ruprecht —
Il y aurait une réponse a faire à cet article de Nathaniel Herzberg, surtout étant donné les débats sur les rapports entre les artistes originaires de la « périphérie » et les institutions du « centre », débats qui battent leur plein actuellement sur le territoire de la France. Le journaliste passe à côté d’un autre aspect du problème qui est aussi important que celui du pouvoir des auteurs sur leurs textes dramaturgiques.
Tout ceci a éclaté lors de la discussion qui a eu lieu pendant la table ronde de la semaine de la Caraïbe organisée dans le Petit Studio du Louvre à Paris au mois de mars (2007) et à laquelle j’ai eu le plaisir d’assister. Le désir de Koltès de voir le personnage joué par un acteur d’origine arabe entre dans la discussion sur la marginalisation des acteurs d’origine antillaise et africaine qui ont du mal à pénétrer les institutions canoniques du théâtre français, milieu fermé et blanc qui exclut systématiquement ceux qui ne leur ressemblent pas. Les témoignages dans ce sens ont fusé pendant cette table ronde et c’était très embarrassant, voire une honte pour la France, d’entendre des comédiens raconter qu’ils suivent des formations, qu’ils acquièrent un statut professionnel mais après , quoi faire? Car ils n’ont jamais l’occasion de jouer à moins de jouer un personnage noir ou de participer à un événement destiné spécifiquement aux artistes noirs…comme la semaine de la Caraïbe! Ils sont donc systématiquement inscrits dans un « ghetto » , soit des réseaux de créateurs parallèle, vus comme des artistes de seconde classe, pas tout à fait comme les « vrais ». Un metteur en scène britannique a même fait une intervention intéressante en exprimant sa surprise devant la fermeture d’esprit du milieu théâtral de l’Hexagone alors qu’en Grande Bretagne, la notion de « colour blind casting » était plus ou moins la règle. L’exception en France, étant Gabriel Garran et Peter Brook dont les distributions regroupent les gens de toutes origines. Mais, ces artistes un peu « ex-centriques » sont des cas à part sur le territoire national.
N’était-il pas possible que Koltès, à part cette « authenticité » qu’il recherchait- .notion quand même ambivalente sur la scène ou tout est « joué », ou on » fait semblant » – ait tout simplement voulu donner un rôle à un acteur qui aurait eu du mal à trouver du travail dans des circonstances normales, puisque Koltès connaissait bien les habitudes de l’institution théâtrale en France?.
Et là nous voyons venir l’essentiel du problème car cette attitude, en fin de compte n’est pas ce que les artistes souhaiteraient, me semble-t-il. Pour ouvrir les possibilités aux artistes de la scène d’origine non blanche, puisque le corps est l’outil le plus important de l’acteur, pourquoi faut-il leur réserver les rôles de personnages « non blancs »? Est-ce que les personnages russes sont joués par des Russes? Est-ce que « Carmen » est toujours chantée par une artiste, belle, mince, séductrice d’origine espagnole qui fume des cigares? Est-ce que « Ophélie » est jouée par une britannique de sensibilité fragile qui va finir par se suicider ou « Othello » joué par un Maure?, ou « Richard III » joué par un psychopathe avide de pouvoir?
Exiger que le personnage soit joué par un acteur dont les origines correspondent au personnage fausse beaucoup le débat car justement ce que les acteurs « exclus » recherchent est exactement le contraire, et c’est aussi ce que le metteur en scène britannique avait constaté: avoir le droit de jouer partout et n’importe quoi pourvu que leur talent les rende aptes à capter le personnage et le rendre crédible, A plus forte raison dans des oeuvres ou le personnage n’est pas déterminé par la réalité extérieure et devient une création imaginaire dont les critères se dessinent à l’intérieur de l’oeuvre même. À ce moment, tout devient possible.
Évidemment, à ce moment-là la question s’impose. Qui détermine les critères? Qui fait les choix? La réponse est évidente. Il faut que les instances de décision se dotent des cadres artistiques qui représentent cette nouvelle vision du monde, et que tous détiennent un pouvoir décisionnel égal pour que les voix de la « diversité » pèsent de leur plein poids. Il faut seulement que les esprits s’ouvrent et que tous les artistes puissent travailler partout. Mais la France n’ en est pas encore là.
On dirait donc que le souhait de Koltès est admirable mais il ne va pas assez loin car il freine le débat sur l’ouverture de la scène à tous ceux qui ont du talent, quelle que soit leur origine, une scène moderne ou la couleur ne devrait plus jouer le moindre rôle. Je crois que Koltès était bien intentionné mais il est mort à une époque où ces questions n’étaient pas encore débattues en public. S’il était toujours parmi nous, je suis sure qu’il serait tout à fait d’accord avec ce que je viens d’écrire.
Dans ce cas-ci, la réflexion du metteur en scène Muriel Mayette, administratrice générale de la Comédie française, s’arrête à mi-chemin. Elle ne va pas assez loin. Elle est libre de choisir la distribution qu’elle veut mais sa vision des possibilités artistiques est encore beaucoup trop restreinte, déterminée par de vieilles habitudes. En effet, elle n’est pas encore à la hauteur de celle de Peter Brook, même pas encore à la hauteur de la réalité de son pays ou toutes les origines se côtoient depuis bon nombre d’années. Malgré certaines brèches qui commencent à se creuser par ci par là, l’institution théâtrale croule sous les principes vieux de plusieurs centaines d’années. Cela ne peut plus continuer comme cela.
Alvina Ruprecht le 29-05-07