— Par Selim Lander —
Agréable surprise, ce film mexicano-colombien de Ciro Guerra et Cristina Gallego en cinémascope est projeté sur un écran incurvé, autant dire qu’on en a plein les yeux, du moins au début car on oublie la technique assez vite, les réalisateurs des oiseaux de passage ne s’en servant guère. Il reste que bien maniée elle peut à notre avis remplacer avantageusement la 3D et qu’il est dommage que l’on ne voit pas davantage de films réalisés ainsi.
Les oiseaux de passage sont une sorte de thriller en pays indien (d’Amérique du Sud) avec revolvers et 4×4 en veux-tu en voilà et moult gros plans sur les visages menaçants ou inquiets des principaux personnages : au pays de la marijuana, la vie humaine ne vaut pas grand-chose en effet. Le film, qui couvre les dernières décennies du XXe siècle, raconte les conséquences de l’introduction du business de la drogue dans les communautés indiennes. Difficile pour un spectateur comme nous, qui n’est pas un connaisseur des problématiques de l’Amérique Latine, de juger de la fidélité du film par rapport à la réalité. Le cinéma est le cinéma, bien sûr, n’empêche que dans un tel cas, on aimerait savoir si la guerre « tribale » qui se déroule à la fin est crédible. Car il semble régner au sein des tribus indiennes un code de l’honneur pire qu’en Corse. La vendetta ne s’exerce pas seulement à l’égard de l’offenseur, ni les femmes ni les enfants ne sont épargnés.
Les drames dans le film sont provoqués par deux individus anormalement violents. En toute rationalité on aurait dû se débarrasser d’eux (pas nécessairement par une exécution définitive) à la première incartade. Mais il est vrai que l’un des deux est l’enfant chéri de la chef d’une tribu : l’amour – spécialement maternel – est aveugle, on le sait : ici ses conséquences seront particulièrement tragiques.
Le film, on l’a dit, est situé dans une période où les paysans des contrées reculées s’enrichissent brutalement grâce à la marijuana. Le passage d’une existence misérable à la limite de la survie à l’opulence est bien montré. La transformation des pauvres gens qui vivaient dans des masures, parfois des huttes, en propriétaires de maisons d’architectes plantées dans la brousse est savoureuse.
Si la part documentaire ne manque pas d’intérêt (la croyance dans les esprits, les rituels magiques, les épreuves initiatiques), le spectateur, malheureusement, est incapable de juger dans quelle mesure tout cela était encore pertinent avant, bien sûr, l’acculturation consécutive à l’enrichissement. A ce dernier égard, est particulièrement frappante la scène où la jeune fille du chef Anibal se prélasse au bord de sa piscine en feuilletant un magazine féminin, quand on se souvient comment vivait la famille avant la manne de la drogue.