— Par Selim Lander —
Les Martiniquais se rendent-ils suffisamment compte de la chance qu’ils ont de pouvoir, grâce aux Rencontres Cinémas Martinique, visionner autant de films, rencontrer autant de professionnels du cinéma ? Une centaine de films sont programmés lors de la présente édition ! De quoi satisfaire tous les âges et tous les goûts.
Fasse au Ciel que les RCM donnent aux jeunes classes l’envie de découvrir d’autres œuvres que les blockbusters débiles vers lesquels ils se précipitent spontanément. Culture de masse / culture élitiste ? Les enseignants constatent avec effarement que le fossé, loin de se combler, est plus profond que jamais. Les déclarations des ministres n’y changeront rien : l’école n’est pas de force pour contrebalancer les médias de masse. Raison de plus pour espérer des RCM – puisque des projections scolaires sont au programme – qu’elles fassent bouger les lignes.
I, Philip : réalité virtuelle
Pour la première fois cette année, une section est consacrée à la réalité virtuelle (VR) avec 6 œuvres au programme (visibles à travers un masque). Bonne pioche : le court métrage I, Philip de Pierre Sandrowicz, film français même si ni le titre, ni la langue qui y est parlée (l’anglais dans les deux cas), ni le nom du réalisateur ne le laissent deviner. En dépit d’un scénario pas totalement abouti, ce petit film de 14 minutes séduit de bout en bout par son inventivité et son réalisme… alors que le Philip du film n’est qu’une personne virtuelle, une intelligence artificielle. Pour ne citer qu’une séquence (allez donc voir le film, c’est encore possible ce mercredi à l’Atrium de 11h à 20h), on retiendra celle ou Philip, remisé dans un couloir, observe la technicienne de surface qui fait le ménage jusqu’à ce qu’un opérateur vienne l’éteindre (l’éteindre lui, Philip, pas le couloir !) : du vrai cinéma d’aujourd’hui.
Evidemment, il ne suffit pas d’utiliser la VR pour réaliser du bon cinéma : au risque de paraître méchant, osons dire que le second film visionné par nous, Planet∞ (7 min.) de Mokomoto Seto – autre production « française » – film muet qui montre une succession d’images plus ou moins réalistes (pluie de coccinelles, têtards démesurément grossis, etc.), ne présente guère d’intérêt.
Have A Nice Day de Liu Jian : cinéma d’animation
Ignorant que nous sommes, nous ne connaissions pas Liu Jian (chinois comme son nom l’indique). Il mérite pourtant d’être découvert. Peu importe l’invraisemblance du scénario de ce film noir dans lequel on se bat autour d’un sac rempli de gros billets, les adeptes de la ligne claire en BD ne peuvent qu’être ravis. D’autant qu’il y a souvent de quoi rire, que les truands et autres individus malhonnêtes qu’on croyait expédiés ad patres ont de fortes chances de survivre, et que les personnages existent en dépit de toutes les invraisemblances.
Il reste que s’agissant d’un film d’animation, la forme importe encore davantage que pour un film avec comédiens (faudrait-il ici esquisser un parallèle avec l’opposition du cinéma et du théâtre – le cinéma apparaissant à nouveau plus réaliste que le théâtre ?) et c’est bien avant tout par sa forme que Have A Nice Day séduit. Et pourtant ! Des maquettes animées (personnages) ou non (véhicules divers) se déplacent devant des décors fixes peints sans relief : le procédé est éculé, naïf dira-t-on peut-être au vu des multiples développements du cinéma d’animation. Sans doute mais ce film prouve que les bonnes recettes font toujours… recette !
Guaxuma
Un mot pour finir de ce court-métrage d’animation brésilien de Nara Normande présenté avant le film (après les inévitables annonces et publicités diverses – qui s’étirent, qui s’étirent, avec de surcroît un volume sonore dérangeant – auxquelles on voudrait pouvoir échapper au moins pendant les RCM) : ici, les personnages, des figures sculptées dans le sable, n’ont évidemment rien à voir avec la technique traditionnelle des dessins animés. Cette histoire toute simple d’une amitié enfantine qui s’est prolongée au-delà est émouvante et bien illustrée. Tout serait donc parfait s’il n’y avait notre troisième couac (voir infra).
Programme du 23 mars 2019.
Trois couacs :
1 – On ne sait s’il faut en rire ou en pleurer ! Another Day Life, un film sur l’Angola dont on espérait beaucoup n’a pas pu être projeté pour une raison à laquelle les spectateurs n’ont pas eu accès. Les cinémas Madiana sont abonnés aux incidents de ce genre : nous nous en sommes suffisamment plaints ! Mais ne pouvait-on pas faire un effort pour que les RCM, au moins, en soient indemnes, sachant la présence de personnalités extérieures qui n’ont nul besoin de connaître nos turpitudes ? Eh bien, non !
2 – Y a-t-il des intellectuels, des artistes authentiques en Martinique ? Le cloisonnement des disciplines s’avère en tout cas effarant : les écrivains, plasticiens, musiciens, théâtreux sont quasi-unanimement absents lors des projections des RCM (et de même les écrivains, plasticiens, etc. se désintéressent-ils quasi-unanimement du théâtre, etc.). Tous ces gens-là ignorent-ils donc que les arts se nourrissent les uns des autres ? A voir comment ils se comportent, on est bien forcé de le croire ! Et de saluer une nouvelle fois les quelques passionnés de l’équipe de votre média culturel favori (Madinin’art pour ne point le nommer) qui vous rendent compte – plus ou moins bien, sans doute, mais là n’est pas la question : la critique est un art, pas une science – des événements culturels martiniquais dans toutes leurs dimensions.
3 – Last but not least. Pendant toute la projection de Guaxama la salle est restée partiellement éclairée. Lorsque – après un 1er spectateur revenu bredouille – nous nous sommes déplacé pour demander qu’on veuille bien éteindre les lumières, il nous été répondu que tout était normal, que l’éclairage de la salle pendant le « court » était voulu et que la salle serait éteinte pour le « long ». Que dire devant une telle réponse, sinon que, une fois de plus, les bras nous en sont tombés ?