— Par Roland Sabra
1999, Ernest Pépin, poète et romancier guadeloupéen effectue un « pèlerinage » selon ses propres termes sur la terre d’Afrique. Rencontre envoûtée par les passions africanistes militantes du père de l’auteur, par les rêves de retour au berceau des origines, par les décombres de la négritude assaillis de créolité, espoir giflé d’une unité qui se brise sur le réel d’une altérité irrémédiable et tout aussitôt déniée. Le retour aux Antilles donnera naissance à un recueil de poèmes Africa Solo que Michel Dural a tenté d’adapter pour une mise-en-scène de José Exélis. Sur scène donc il y a Filosof, Ernest Pépin peut-être, qui s’en est allé là-bas en Afrique et qui «… revenu du pays des ancêtres Les mains mouillées par la rosée des retrouvailles Le pas plus riche des récoltes accueillies » déplore gémit, crie à qui veut l’entendre « Pey la ka foukan, Nou tou ka foukan… » Pour cet autre cahier d’un autre retour au pays génital , il lui fallait partir là-bas. Là-bas, il le fallait. Ne serait-ce que pour se découvrir étranger au pays matriciel : « Pas facile de se parler avec les Africains. Au pays des ancêtres je me sentais étranger » . L’autre personnage « Prézidan », un peu cynique, détaché , revenu de tout de n’être pas allé plus loin que la frontière dressée par la misère et la corruption lui répond désabusé : « Je vois ça d’ici.[Imitant l’accent africain] Petit Antillais, tu ne peux pas comprendre, tu n’es pas d’ici. » Plus tard il soutiendra : « L’Afrique c’est folie et désespoir » quand Filosof plaidera : « C’est aussi une marchande de vie, Mère des trois chemins, Mère au mille seins, Mère aux cent mille reins. »
Deux discours qui s’affrontent quand l’un chante l’africanité qui demeure qui persiste et qui saigne l’autre rappelle que « Le nègre a mis le nègre sous le plat de son pied, et il a marché dessus, il a dansé dessus. ». Où sont nos racines? Dans le pays d’où l’on vient, ou dans le pays où l’on vit? Question crabe au cœur de nos entrailles et qui conduisit au naufrage les engagements militants étayés de ces identités incertaines.
Y-a-t-il là, matière à faire pièce de théâtre? Assurément puisque la question est immensément ouverte. Fallait-il pour autant tenter d’adapter un texte poétique? La réponse proposée par José Exélis est moins sûre. Les envolées poétiques d’Ernest Pépin sont rétives à la théâtralisation. Yves Lavandier, dont le traité «La dramarturgie» est considéré comme la référence en la matière insiste longuement sur la distinction, la coupure même, entre ce qui est écrit pour être entendu et/ou vu et ce qui est écrit pour être lu. Coupure dont on peut supposer l’origine dans l’invention de l’imprimerie, machine infernale qui fit disparaître les copistes, multiplia les éditions de livres en les rendant bon marché et contribua à la différenciation des écrits tout en créant des genres littéraires.
Le théâtre a besoin d’un récit avec un schéma narratif qui raconte une histoire. Le spectateur paie volontiers pour qu’on lui raconte des histoires et non pas pour qu’on lui tienne des discours fussent-ils poétiques. La mise en voix, la mise en espace d’un poème aussi intéressantes soient-elles ne sont pas du théâtre.
Dans son travail d’expérimentation et d’exploration de formes théâtrales nouvelles ancrées dans les réalités caribéennes José Exélis s’aventure sur les limites du genre et il les dépasse quelques fois comme dans Africa Solo. La mise en scène semble avoir été tarifée au minimum syndical. Trois tours de brouette sur le plateau, trois séquences reproduites à l’identique d’une esquisse de danse africaine, trois monologues plombés par le pathos, une conversation le cul sur la scène éclairée de deux lumières rasantes, coté cour , coté jardin, et le tour est joué en cinquante minutes à peine. Les efforts de Michel Dural pour adapter, théâtraliser un texte conçu pour être lu, récité, déclamé mais en aucun cas mis en scène sont vains et c’est à l’honneur du poème que de se suffire à lui-même et de résister avec opiniâtreté à son détournement. Quand le poète demande son chemin au passant, et s’il veut être renseigné, il le fait en langage naturel sans métaphore ni métonymie.
José Exélis avait déjà monté ce texte il y a deux ans, à le reprendre aujourd’hui il cherche son bien dans l’ombre de son plaisir et confirme qu’il n’y a pas de cheminement linéaire, que toute recherche est faite d’avancées et de reculs, de réussites et d’erreurs. L’échec relatif d’Africa solo souligne l’absence d’auteurs caribéens pour les arts de la scène et consolide le point de vue qui soutient que la recherche théâtrale doit concerner d’abord et avant tout les textes écrits dès l’origine pour être joués.
Roland Sabra
Africa Solo
D’après le recueil de poésie d’Ernest Pépin
Adaptation Michel Dural
Mise en scène
José Exélis
Avec
Dominik Bernard, Daniely Francisque, Joël Jernidier
Lumière – Décor : Dominique Guesdon / Régie lumière : Dominique Guesdon – Valéry Pétris
Coproduction Les enfants de la mer / Cie théâtrale de l’Affranchi
Avec le soutien du Cmac – scène nationale, des Directions Régionales des Affaires Culturelles de Guadeloupe et Martinique – Ministère de la Culture et de la Communication – et le Conseil Régional de Martinique.