Par Thierry Clermont
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De tout temps, les artistes ont interprété les œuvres des écrivains et des poètes.
Peinture et littérature ont toujours fait bon ménage. Que l’on songe, pour le seul XXe siècle, aux couples contemporains formés par Balthus et Rilke, Magritte et Mallarmé, Matisse et Aragon, Zao Wou-ki et Michaux, Chagall et Cendrars pour ne citer qu’eux.
René Char, qui s’était lié d’amitié avec Nicolas de Staël, voyait dans les peintres les «alliés substantiels» des poètes. Sans compter ceux qui ont pratiqué les deux arts: de Michel-Ange à Picabia en passant par Byron ou Hugo.
Ces rencontres croisées, parfois à plusieurs siècles de distance, ont donné de purs chefs-d’œuvre, où l’image non seulement commente ou illustre, mais sublime le texte, en apportant une vision singulière à l’œuvre écrite. Quelques illustrations cardinales des grands classiques:La divine comédiede Dante interprétée par Botticelli puis par Gustave Doré (lequel avait magnifié Pantagruel et Gargantua), Les Fleurs du mal revisitées par Delacroix, Courbet, Cézanne, Félicien Rops… et opus mixtum entre tous: Les Fablesde La Fontaine qui ont inspiré depuis trois siècles Boucher, Fragonard, Oudry, Chagall… et plus récemment Foujita, Dali ou Leonor Fini, la muse italienne d’André Pieyre de Mandiargues.
Pour autant, ces rencontres au sommet ne sont pas toutes fructueuses: voir l’échec récent du Dante revu par Miquel Barcelo, un des artistes les plus cotés aujourd’hui…
Une composition à part entière
Alors, existe-t-il une recette miracle pour réussir le mariage parfait entre le texte et les images? Voilà une vingtaine d’années, Diane de Selliers a créé rue d’Anjou sa maison d’édition éponyme, spécialisée dans les chefs-d’œuvre illustrés de la littérature mondiale. Premier opus de son catalogue, riche aujourd’hui de 21 titres à tirage limité (3000 exemplaires), l’intégralité des Fables de La Fontaine illustrées par 275 gravures du peintre animalier Jean-Baptiste Oudry, rehaussées à l’aquarelle au XVIIIe siècle. L’ouvrage, l’objet, serait-on tenté de dire, a nécessité plus de cinq années de travail et mobilisé une quarantaine de graveurs et de typographes.
Selon Diane de Selliers, «pour la réalisation de ce genre d’ouvrage, il n’existe pas de recette à proprementdit. Il s’agit d’un travail de création collectif à trois: l’auteur, l’éditeur et le peintre. C’est la condition sine qua non pour remporter le tiercé gagnant, avec pour souci premier d’éveiller l’imaginaire du lecteur, sans trahir l’esprit du livre. Il ne s’agit donc pas à proprement parler d’illustrer, c’est-à-dire de simplement greffer des images vis-à-vis d’un texte, ce qui reviendrait à un déséquilibre, mais bel et bien d’une composition à part entière».
Cette philosophie s’est affirmée au fil des ans, avec par exemple la réalisation en deux forts volumes sous coffret de La Légende doréede Jacques de Voragine qui a inspiré plus d’une centaine de peintres de la Renaissance italienne ou encore le Faust de Goethe illustré par 18 lithographies de Delacroix et 60 huiles, aquarelles, dessins, croquis et esquisses de l’artiste. «C’est la rencontre idéale, puisqu’il faut y ajouter celle du génie du traducteur: Gérard de Nerval», précise Diane de Selliers.
Pour ce qui est des strictes nouveautés, elle a fait appel à des artistes contemporains. Ce qui a donné Alice au pays des merveilles revisité par Pat Andrea, l’Iliade et l’Odysséed’Homère imagés par Mimmo Paladino, etDon Quichotteréinterprété par Gérard Garouste à travers 150 gouaches originales et 126 lettrines ornées. Un ouvrage qui vient d’être réédité en «Petite collection».
Après avoir fait retraduire Le Cantique des oiseaux d’Attar, illustré par la peinture islamique du Proche et du Moyen-Orient, Diane de Selliers travaille à un Éloge de la folie d’Érasme vu par la Renaissance flamande (Holbein, Quentin Metsys…). Et de préciser: «Ce métier d’artisan exige une bonne dose de folie, mais de folie salutaire…»
«Don Quichotte de Cervantès» , Illustré par Gérard Garouste, 2 volumes, Éditions Diane de Selliers, 688 p., 95 €.
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