— par Siegfried Forster —
Fipadoc: Joséphine Baker, la banane de la première icône noire
« Joséphine Baker, première icône noire », documentaire d’Ilana Navaro, en compétition au Festival international du documentaire Fipadoc, à Biarritz, France. Fipadoc 2019
« J’ai deux amours… » De Joséphine Baker, on a surtout retenu les images de sa danse de bananes et sa famille arc-en-ciel. Et pourtant, derrière sa frivolité insensée se cachait une enfance très difficile, marquée par le racisme et la ségrégation qu’elle a combattu toute sa vie. Une lutte aujourd’hui presque oubliée. D’où l’urgence du film réalisé par Ilana Navaro, « Joséphine Baker, première icône noire ». Un documentaire passionnant, truffé de surprises et de découvertes, grâce aux images rassemblées, souvent rares et parfois inédites. Un petit bijou, en compétition au Festival international du documentaire (Fipadoc), à Biarritz.
Sur scène, sa rage de s’en sortir et de réussir passait par la nudité et des poses extrêmement osées. Adulée par les uns, elle était redoutée par les autres. Lors de sa tournée européenne, l’Eglise faisait sonner les cloches pour avertir les fidèles de l’arrivée du « danger » Josephine Baker, pour eux l’incarnation de la décadence.
Le documentaire montre son ascension fulgurante, l’éveil de son engagement politique et les ingrédients nécessaire pour se métamorphoser en Joséphine Baker, première icône noire.
Née le 3 juin 1906 aux Etats-Unis, à Saint-Louis, dans le Missouri, d’origine métissée afro-américaine et amérindienne, Freda Josephine McDonald était d’abord la petite bonne noire dont on brûle la main quand elle laisse tomber une assiette. Elle trouvera son salut dans la danse. Néanmoins, arrivée en 1921 à New York, elle est considérée comme trop petite, trop maigre et trop noire pour percer dans le music-hall. Malgré tout, sa volonté absolue de réussir impressionne un imprésario qui lui finance la traversée de l’Atlantique.
Pour le rôle principal dans la Revue nègre, elle est prête à tout et n’hésite pas à satisfaire les envies du public. En 1925, au théâtre des Champs-Elysées, la « sauvage africaine » aux seins nus conquiert le Tout-Paris et devient la première star noire mondiale. Elle est à la fois acclamée par les bourgeois libérés des années folles et les artistes, de Hemingway en passant par Calder, jusqu’à Picasso. En Europe, elle déclenche une véritable « Bakermania ». Reste la blessure de son pays natal. Aux Etats-Unis, malgré sa gloire planétaire, on lui refuse toujours de loger dans le même hôtel que les Blancs.
L’exploit du documentaire est de mettre des images sur ces réalités souvent oubliées, justement à défaut d’images. A l’écran apparaît une Joséphine Baker prête à combattre pour ses convictions. Pour libérer les femmes et les Noirs, elle brave non seulement de nombreuses règles, mais le moment venu, elle se met même au service de la Résistance comme agent du contre-espionnage. Autre fait marquant : après la guerre, elle sera la seule femme noire à la tribune de la célèbre marche sur Washington pour les droits civiques, en 1963. Un événement historique pour lequel la réalisatrice Ilana Navaro a également retrouvé des images d’archives.