— Par Roland Sabra —
Noir. Une voix dans le noir. Une voix enregistrée. Une voix magnétique. La diction est claire, nette, sans emphase, dépourvue d’affect, presque détachée. Elle fait offrande de mots au seul sens mobilisé, l’écoute. Les autres sont en veilleuse. Du texte émerge la force d’une beauté qui envahit l’espace, pénètre les esprits et les corps. En apnée la salle retient son souffle. Moment superbe, moment magique. Et puis…
Et puis la comédienne émerge de l’ombre et va poursuivre en explorant différents registres, avec une palette expressive assez large, dans un engagement plein et entier. Cris déchirés, rires étouffés, pleurs et larmes rentrés, rage expulsée, diront l’indicible de la douleur du viol. Mais jamais elle ne pourra égaler l’intensité émotionnelle produite par seule écoute de sa voix sur la bande-son. On entendra de nouveau la voix seule, à la fin, mais on le sait d’un autre domaine : la compulsion de répétition est un obstacle au principe de plaisir.
Reviennent alors à l’esprit les autres mises en scène de Moi, Inhérent qu’il s’agisse de celle de l’auteur Guy-Régis Jr avec Nanténé Traorélors de la saison 2009-2010, au Tarmac et présentée dans la foulée au Festival Cap Excellence de Guadeloupe, ou de celle de Toussaint Carilien avec Karina Benziada en 2012, toutes achoppent sur la difficulté de la re-présentation d’un texte qui, dans sa puissance, sa construction et sa beauté poétique se suffit à lui-même. Guy-Régis Jr avait tenté d’effacer la comédienne en lui faisant dire avec un phrasé identique le texte de bout en bout, dos au public. Appréciation mitigée de la critique qui retenait surtout les mots :
« Je suis seule à attendre là/ Sans aucune lueur/ Une flamme/ Une lampe/ une bougie/ le feu/ Nulle lune qui m’effleure/ M’affleure/dessinerait mes flancs/dont la lumière surgissant de là-haut vaincrait le noir qui m’entoure. »
ou encore :
« Cadavre frais ! Sors ! Arrive, arrive ! Cadavre ! Macchabée ! Sortez ! Installez-vous ! Venez, viens mon beau ! »
Sur le plateau la comédienne est «… celle qui vient, celle qui vient pour les terrasser toutes. ». Et dans le public nul ne peut douter de ce qu’elle dit.
Si désenchantement il y a il résulte peut-être de cet écart que Mac Luhan dans les années soixante du siècle dernier distinguait entre média chauds et média froids. Ces derniers obligent l’individu à réaliser un effort psychique et intellectuel pour comprendre le sens du message. Ainsi la parole sur une bande-son, est un média froid parce que « l’auditeur reçoit relativement peu d’information et doit beaucoup compléter. Les médias froids encouragent l’individu à participer, ce qui signifie qu’il complète l’information par sa propre réflexion pour comprendre, en mobilisant d’autres sens, le média et son message. A contrario les médias chauds, comme la télévision, le cinéma, mettent à contribution un seul sens. Ils ne nécessitent donc pas de re-formaliser ou reformater ce qu’on reçoit. On le prend tel quel. En ce sens, ces médias n’appellent pas à l’initiative.
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Les distinctions de Mac Luhan sont parfois hasardeuses et floues. Par exemple il considère que la parole est un média froid alors que la radio est un média chaud ! Pourtant c’est bien la parole qui est au cœur de la radio (émissions ou chansons) et un seul sens (l’ouïe) est mis à contribution. Pour faire bref on retiendra de la célèbre formule « le message c’est le médium » que le « contenu » d’un médium, quel qu’il soit, est toujours un autre médium et qu’à ce titre le contenu de l’écriture, c’est la parole.
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On le sait le théâtre ne s’adresse pas à la raison mais à l’émotion et à ce titre la performance, car s’en est une, de Danielly Francisque a été bien reçue par le public qui lui réserva, dit-elle, sous le chapiteau de Tropiques-Atrium à Schoelcher la plus longue ovation de sa carrière. Sans avoir à évoquer Senghor et sa formule « L’émotion est nègre, la raison est hellène », tout en voulant la dépasser, Il reste aux moins enthousiastes, à celles et ceux, qui préfèrent, dans l’après-coup de l’émotion, comprendre et analyser ce qu’ils ressentent pour mieux en apprécier l’intensité et la saveur, l’espoir de retrouver, pour une autre forme de plaisir, sur France-Inter ou France-Culture, une version radiophonique du texte. À bon entendeur…
Frot-de-France, le 25/01/2019
R.S.