— Par Roland Sabra —
Nathalie Vairac portait sur elle ce texte depuis plus de trois ans. Daniel Keene, l’auteur, lui en avait fait cadeau. Il lui fallait le faire passer en elle. Hassane Kassi Kouyaté a été ce passeur.
Sur scène, une double limitation de l’espace comme un enfermement souligné. Un premier carré, le parc, avec quatre parpaings recouvert de paille, à l’intérieur duquel un tapis définit l’espace d’un logement sommaire fait de cageots et palettes de récupération. Il y a là pour tout mobilier un lit, une chaise, une table de nuit, quelques livres. Elle arrive, tourne dans le parc figuré en courant autour de la boite-maison, se pose, reprend son souffle, s’avance vers le public et pose la question : « Que vous raconter ? Un matin je me suis réveillé(e) et mon père n’était plus là. Un matin je me suis réveillé(e) et tout ce que je connaissais avait disparu. Je me suis réveillé(e) et je n’avais plus de nom. Je me suis réveillé(e) et j’étais dans un autre pays. » En quelques mots est posée une situation d’exil dont Camus dit qu’il « ne déchire pas, il use. » Elle est là sans feu ni lieu autre que cette cabane à laquelle elle s’accroche comme un radeau dans l’immensité vide d’une mer sans rides. Elle dira l’arrachement, l’enfance volée, l’enrôlement de l’enfant soldat dans sa onzième année, l’errance qui balance de villages massacrés en meurtres aux motivations dépenaillées. Elle dira la perte de soi dans l’acte sans foi, ni loi, à la recherche de l’ombre qui lui donnait épaisseur. Elle dira. Elle dira… Et les mots de l’horreur vont devenir, imperceptiblement, par un glissement à peine dissimulé ceux du questionnement existentiel de n’importe quel quidam s’interrogeant sur son parcours de vie. Qui n’a pas eu plusieurs cheminements, plusieurs vies labourées plus ou moins profondément mais bien souvent délaissées, reprises et abandonnées ? Et c’est là toute la difficulté à laquelle se heurte la mise en scène. Comment restituer sur le plateau à la fois la singularité exceptionnelle d’un destin d’enfant soldat et un questionnement de vie qui s’il n’est pas tout à fait banal ne relève pas pour autant d’un registre d’une grande originalité? Rien dans la scénographie, ni même dans la tenue du personnage ne permet de situer celui-ci, géographiquement ou culturellement. Ex-Yougoslavie ? Afrique subsaharienne ? Asie du sud-est ? Amérique du sud ? Les lieux pas plus que le genre ou l’identité sexuelle du personnage ne sont repérables, ou du moins mis en avant au risque d’une désarticulation du texte qui finit par moment par tourner sur lui-même dans un abstraction décharnée. La réponse d’une question n’est pas dans sa répétition, sa redite, qui penchent du côté de la clôture sans solution de l’interrogation qui lui donne naissance. Le temps imparti à Hassane Kassi Kouyaté pour présenter ce travail ne lui a pas permis d’articuler destinée collective et parcours individuel, problématique présente dans le texte de Daniel Keen sans que l’auteur ne se donne les moyens, non pas de la résoudre, mais tout simplement de l’exposer, la laisser ouverte à l’appropriation par le public.
Nathalie Vairac, à la diction claire, posée mais aussi capable d’envolées, porte avec beaucoup d’intériorité ce texte et fait oublier le plus souvent les imperfections qui le mine en témoignant d’une réelle présence sur le plateau. Il lui reste à faire grandir ce nouveau-né que la sage-femme HKK a contribuer à mettre au monde et qui a déjà des traits avignonnais. Elle en a les capacités et les talents.
Fort-de-France, le 16/01/2019
R.S.
« Dernier rivage » de Daniel Keene
Mise en scène & Scénographie : Hassane Kassi Kouyaté
Interprétation : Nathalie Vairac
Costumes : Anuncia Blas
Coproduction : Tropiques Atrium Scène nationale & Cie Deux Temps Trois Mouvements
Cie de la Lune Nouvelle