— Par Selim Lander —
Surprenante, étonnante plutôt, au sens premier du tonnerre qui tonne, cette pièce de Serge Aimé Coulibaly d’origine burkinabé, inspirée par le grand musicien nigérian Fela Kuti, qui a déjà beaucoup tourné (par exemple dans le In d’Avignon en 2017) et s’est couverte d’éloge, est un beau cadeau de Nouvel An de Tropiques Atrium-Scène Nationale aux Martiniquais. Ils sont sept, ou plutôt six, trois danseurs et trois danseuses, cinq Noirs et une Blanche, avec en sus le chorégraphe originaire du Burkina Faso, souvent présent sur le plateau, trois couples donc que l’on verra tous les trois en action dans un tableau final particulièrement frappant, lorsqu’ils quitteront le plateau et disparaîtront en haut des gradins, chaque danseur portant sa partenaire.
Après un prologue un peu trop long, sans doute, l’entrée en scène de Coulibaly bouleverse l’ordre quelque peu mécanique qui s’est instauré. Le chorégraphe qui fait mine de partager les rôles – comme si chacun ne savait pas déjà parfaitement ce qu’il doit faire – fournit une sorte de contrepoint aux déplacements des danseurs. A partir de là, la pièce se déroule sans un temps mort, sans un instant de répit pour le spectateur en raison d’une chorégraphie que l’on pourrait dire « déconstruite », les danseurs jouant le plus souvent en solo dans un désordre organisé, les parties à deux, quatre ou six étant l’exception. Le décor évoque ces bars africains où l’on va pour boire, danser, éventuellement lever des filles vénales (côté masculin), trouver un client pas trop fauché (côté féminin). Pour ceux qui ont pu y assister, l’ambiance est proche de la pièce de théâtre Tram 93 adaptée du roman de Fiston Mwanza Mujila, qui se déroule également dans un bistrot-boite de nuit.
Les quelques accessoires ont une part importante : un sofa fatigué, des chaises en plastique, une boite sur roulette qui sert de podium. Les sièges se mettront d’ailleurs à voler dans tous les sens, dans une séquence où l’on peut reconnaître comme un hommage à Pina Bausch. Les deux écrans contribuent à dérouter encore plus un spectateur déjà troublé par le fait que plusieurs actions se déroulent en même temps sur le plateau, lorsque les images font défiler une autre histoire que celle(s) racontée(s) par les danseurs (ville en ruine, cohorte de réfugiés). Idem pour les expressions énigmatiques qui se substituent parfois aux images (« La décadence peut être une fin », etc.).
Coulibaly sature en quelque sorte l’esprit du spectateur tout comme il sature l’espace du plateau avec sa chorégraphie que nous avons dite, faute de mieux, « déconstruite ». Elle mélange les genres : danse de boite de nuit ou d’Afrique, danse moderne ou classique. L’introduction d’une danseuse classique dans ce ballet contemporain est un des atouts de cette pièce, même si Marion Alzieu a tendance à faire de l’ombre à ses camarades, la danse classique possédant un pouvoir de fascination décidément incomparable.
Compagnie Faso Danse Théâtre avec Serge Aimé Coulibaly, Adonis Nebié, Marion Alzieu, Sayouba Sigué, Ahmed Soura, Ida Faho, Antonia Naouele. Musique : Yvan Talbot – Vidéo : Eve Martin.
En tournée à Fort-de-France le 12 janvier 2019.
Voir aussi l’article de Roland Sabra : « Kalakuta Republik » : tout ce qui brille (comme Fela Kuti) n’est pas d’or !