—René Ladouceur —
Ce débat sur les Gilets jaunes, dans l’Hexagone, je le suis, comme nombre d’entre nous ici, avec beaucoup de distanciation et de circonspection. C’est assez pratique pour – comment dire ? –, jouer sur les perspectives et jauger les comparaisons avec la Guyane.
Alors que depuis plusieurs décennies, la légitimité démocratique s’érode du fait d’une désertion croissante des électeurs, il est surprenant que le gouvernement ait pu sembler pris au dépourvu par la colère des Gilets jaunes.
On nous objectera –et à juste titre- qu’en Guyane aussi la colère des 500 Frères a pris tout le monde de court. C’est bien le moins que l’on puisse dire.
L’étourdissante complexité de la Guyane, il est vrai, nous impose et même nous condamne à l’humilité.
Au moment où j’écris ces lignes, les commentaires se concentrent sur les déroutantes maladresses que la nouvelle directrice de l’ARS, Clara de Bort, a multipliées dans sa gestion du mouvement de grève au Centre Hospitalier de Kourou.
Où l’on voit que pour être utile, l’humilité a fortement besoin de la détermination.
Sans la fermeté du Sénateur Antoine Karam et surtout celle du Député Gabriel Serville, Clara de Bort n’aurait probablement jamais cru utile d’aller présenter ses excuses aux parties impliquées dans le conflit du CHK pour l’avoir attendue en vain à une réunion de travail.
Cette Guyane déchirée, parfois effrayante, qui nous échappe, dominée par le mépris de Paris mais aussi par la prolifération des mules et le développement de l’habitat spontané, l’insécurité galopante et l’orpaillage illégal, nous ne parviendrons à la maîtriser qu’avec de la détermination.
L’indignation contre l’implosion de la Guyane, pour justifiée qu’elle soit, ne constitue pas une politique. Lorsqu’on redoute un mal, on doit essayer d’abord d’en éviter la contagion, et il est absurde de ne pas se préoccuper des conditions de son émergence comme si l’on se résignait à sa fatalité.
La Guyane, en ce début de l’année 2019, se sent encore à la dérive, sans gouvernail, sans plan de bord, en proie même à de nouvelles explosions, avec sans doute une onde de choc bien plus dévastatrice que les conséquences du mouvement social de 2017.
La cécité des élus actuellement en charge du développement de la Guyane est de ne pas observer ce risque.
Imagine-t-on le temps que l’on aurait gagné si la Guyane avait la possibilité de nommer elle-même son Directeur de l’ARS ?
Imagine-t-on le temps que l’on aurait gagné si, dans le conflit actuel au CHK, les Guyanais avaient la possibilité de nommer eux-mêmes un médiateur ou d’édicter leurs propres règlements ?
Ah !, l’évolution statutaire.
En Guyane, la politique et le politique ne font toujours pas bon ménage. C’est sur ce terrain sinistré que s’arc-boutent les partisans du statu quo. A la dernière réunion du Congrès, ces derniers ont réussi à hisser, avec une belle unanimité, leurs propositions au centre du débat. La Loi-Guyane, qu’ils soutiennent, a certes le mérite de nourrir la réflexion sur l’évolution administrative et politique de la Guyane mais le flou qui l’entoure, entretenu à dessein, laisse peu de place à des avancées réelles.
Croire qu’il existe une solution guyanaise autre que celle de son émancipation, la définir sans rien changer de nos relations avec l’Etat ni établir un plan de développement endogène, c’est, comme l’histoire nous le montre, se contraindre à de douloureux ajustements ultérieurs. Le louvoiement n’est pas seulement improductif. Il est devenu indécent.
René Ladouceur