Rouge-Vert-Noir-Bleu-Blanc-Rouge-Vert-Noir
— Par Sélène Agapé & AFP —
La Collectivité territoriale de Martinique a lancé des consultations pour choisir ses futurs emblèmes qui vont représenter l’île dans les événements sportifs et culturels. Mais la procédure adoptée ne fait pas l’unanimité.
À l’instar de l’Auvergne-Rhône-Alpes, la Provence-Alpes-Côte d’Azur ou encore la Guyane, la Martinique veut son drapeau pour orner ses institutions et ses ambassadeurs aux couleurs de l’île. Pour mener à bien cette mission, Alfred Marie-Jeanne, le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale (CTM), a lancé des «consultations pour l’adoption d’un hymne et d’un drapeau représentant la Martinique». Ouvertes depuis le vendredi 30 novembre 2018, elles se tiennent jusqu’au jeudi 3 janvier 2019.
Ces deux symboles devront représenter les Martiniquais lors de compétitions sportives internationales comme la Concacaf (la Confédération de football pour la zone Amérique du Nord, centrale et Caraïbe), ainsi que des événements culturels et des rencontres d’échanges de coopération régionale.
Un «vulgaire logo»
Enthousiasmée par cette initiative, Eve Abrosi, une jeune Martiniquaise de 28 ans, a déchanté après avoir lu les conditions de participation aux consultations sur le site de la CTM. La procédure pour le choix des emblèmes s’apparente à celle d’«un concours de dessin». Avec à la clé, plusieurs milliers d’euros pour les meilleures créations proposées (8000 euros pour le lauréat du drapeau, 10.000 pour celui de l’hymne, NDLR). Selon l’article 5 du règlement, «les propositions des candidats seront anonymes avant d’être examinées par le comité technique de sélection». «C’est scandaleux qu’un groupe de personnes s’octroie le droit de décider quel sera le drapeau pour nous représenter», s’agace Eve Abrosi.
En effet, cette commission, composée entre autres d’un spécialiste de la communication, d’un artiste et des élus de la collectivité territoriale, choisira ensuite ses trois créations favorites. Elles seront soumises aux Martiniquais, qui pourront voter sur le site de la collectivité. L’avis exprimé par la population figurera «parmi les éléments d’appréciation» du président du conseil exécutif, à savoir Alfred Marie-Jeanne, à qui reviendra la décision finale. L’identité des membres du comité n’a pas été révélée. Contactée, la Collectivité territoriale de Martinique a indiqué ne pas souhaiter s’exprimer pour le moment.
«On ne brandit pas un drapeau, parce qu’il est beau et joli», fustige Eve Abrosi. Un argument qui rejoint le discours de Olivier Pulvar, sociologue et maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’Université Antilles-Guyane. «Les logos, comme un drapeau et un hymne sont des éléments symboliques qui permettent à un collectif de s’identifier, mais on ne peut pas les placer sur le même plan.» En Martinique, la question du drapeau régional est un sujet épineux depuis de nombreuses années. «C’en est devenu un événement à l’agenda», analyse le sociologue martiniquais Olivier Pulvar.
Une «création unique»
Comme dans la plupart des régions et territoires français, il existe déjà deux drapeaux dont le statut n’est pas officiel: un premier drapeau avec des serpents souvent rejeté par la population locale que l’on retrouve dans le clavier emoji (les pictogrammes utilisés dans les messageries sur smartphones). «Un étendard hérité de la marine navale des Iles du Vent (Guadeloupe, Martinique, Sainte-Lucie, Dominique) qui était stationnée en Martinique», raconte Abel Louis, historien de la Martinique. Ces navires se livraient à la traite négrière transatlantique. Un rappel du système esclavagiste et colonialiste, lourdement critiqué sur l’île. En visite sur l’île en octobre dernier, Emmanuel Macron a demandé la suppression de cet écusson bleu et blanc aux quatre serpents, qui ornait l’uniforme des gendarmes de l’île, après avoir pris connaissance de sa symbolique.
Le second, le rouge-vert-noir, est l’emblème des indépendantistes et de ceux qui revendiquent la filiation africaine du peuple martiniquais et des défenseurs locaux de l’environnement. «Il a réussi à occuper l’espace public grâce à des actions menées par des associations ou des artistes», notamment pour dénoncer le chlordécone ou encore les sargasses, explique Olivier Pulvar.
Ce dernier est exclu de la consultation car la collectivité demande une «création unique», «originale», dont «aucune partie ne fait partie d’une œuvre préexistante». Une absence de démocratie, pour certains Martiniquais.
Source : LeFigaro.fr