— Par Max Dorléans (GRS) —
Dans les écoles, lycées et universités de la République française, on enseigne officiellement qu’en contrepartie de notre travail, il nous est versé par notre employeur – public comme privé – un salaire. Cet enseignement est universel, puisqu’en tous points sur la planète, il n’est pas enseigné autre chose. Mais, nulle part dans le monde également, n’est enseigné ce qui est effectivement, à savoir que ce qui nous est payé en contrepartie, non pas de notre travail, mais de notre « force de travail », est un salaire. Une différence fondamentale, développée par Marx dans son œuvre majeure « Le capital », qui met en avant le concept de « force de travail » achetée comme simple marchandise, et qui permet de saisir en profondeur la nature du capitalisme comme système basé sur l’exploitation de l’homme par l’homme. Plus précisément sur l’exploitation de travailleur/euses salarié/es par le patronat détenteur du capital.
Aujourd’hui, avec le mouvement des gilets jaunes à l’origine de la grave crise sociale et politique que connaît la France, la question de l’augmentation du salaire, constitue, avec quelques autres (pouvoir d’achat, vie chère, fiscalité…) l’une des revendications principales. Mise en avant essentiellement sur la base du salaire direct, c’est-à-dire celle du net à payer perçu, cette question permet à l’ensemble de l’opposition de droite à Macron (LR, Rassemblement national, etc) et de gauche libérale, de claironner leur soutien à cette revendication, dès lors qu’elle reste non seulement dans des limites raisonnables (pour le patronat et l’État avec la dépense publique notamment), mais qu’en outre, elle ne soit pas la résultante d’une augmentation du salaire brut.
Car, pour toute l’élite et les tenants du discours dominant, toute augmentation ne satisfaisant pas à ces deux limites, signifierait pure irresponsabilité, folie douce, voire volonté de mettre en morceaux la France et son économie, déjà fragilisée par une concurrence mondiale débridée, sans limites.
En effet pour ce conglomérat de soutiens libéraux et nationalistes ainsi que pour l’élite bien-pensante (universitaires, journalistes, experts…) détentrice de prétendues « vérités économiques», la préoccupation essentielle est à la fois de ne pas se couper du mouvement en cours, et d’apparaître comme les principaux opposants radicaux à Macron, tout en s’efforçant d’esquiver la question d’une vraie réforme fiscale, ainsi que celle d’une autre répartition des richesses.
Ce qu’ils/elles s’acharnent à faire quotidiennement en se déclarant partisan/es d’une augmentation (raisonnable) du SMIC net, fort éloignée évidemment des montants de SMIC proposés aussi bien par la France Insoumise (1326 euros net pour 35 heures) que par d’autres organisations de la gauche radicale.
Car pour tous ces bien-pensants, il ne peut avoir ici, d’augmentation du salaire net, que par diminution des cotisations salariales. C’est-à-dire que toute augmentation du salaire net ne doit pas avoir pour effet d’augmenter le coût du travail pour le patronat, ce qui serait évidemment le cas, avec une augmentation du salaire brut.
En réalité, ce soutien à une telle proposition d’augmentation du net n’est possible que parce qu’un voile porté sur le salaire en France – le salaire est, depuis la création de la sécu en 1945, composé d’une part directe (le net à payer) et d’une part indirecte (l’ensemble des cotisations salariales) – empêche de se rendre compte, que la diminution du salaire indirect est un coup porté au salaire total, et au delà au pouvoir d’achat.
Dès lors, la « généreuse » augmentation du salaire net mise en avant par la cohorte d’éminents responsables pour satisfaire les gilets jaunes et sortir de la crise, ne fait en réalité que pénaliser les salarié-es, puisque c’est la partie indirecte de leur salaire qui est diminuée. Une diminution bienvenue pour tous les adversaires de la Sécu, puisqu’elle permet de réaliser une double opération : poursuite de la liquidation de la Sécu et intensification de la privatisation de la protection sociale.
En effet, par le biais de la diminution des cotisations sociales, c’est d’abord la Sécu que l’on ampute immédiatement d’une partie de ses ressources de base. Mais dans le même temps, ce sont les assurances ou autres mutuelles que l’on conforte en leur livrant de nouveaux « clients ».
Augmenter le net à la façon patronale, par le biais de la diminution des cotisations salariales, c’est contraire aux intérêts des gilets jaunes et des salarié/es en général.
Car, ce que financent nos cotisations, ce sont nos dépenses de santé, nos allocations familiales, nos retraites, en dépit de reculs considérables avec l’ensemble des contre-réformes des dernières décennies. Ce qui signifie que l’on va devoir inévitablement payer demain directement au privé, comme aux États-Unis entre autres, l’ensemble des prestations dont nous bénéficions aujourd’hui grâce à notre actuelle couverture sociale (mise à mal cependant par 40 ans de libéralisme) basée sur la solidarité, et faite de l’ensemble des cotisations sociales. Aussi bien les cotisations salariales que celles dites patronales.
Notre vigilance doit être de rigueur pour ne pas se laisser berner par les faux amis, mais vrais adversaires de classe !
Max Dorléans (GRS)