« Une maison de poupée », répétition au T.A.C. de Fort de France
Les 15, 16 & 17 novembre 2018 à 19h 30 au T.A.C.
— Par Dégé —
Rien de plus exotique qu’une pièce norvégienne, du 19ème siècle, féministe, tristement bourgeoise, dans la chaleur étouffante, du T.A.C, théâtre aimé Césaire à Fort-de-France. A moins d’être complètement acculturé, rien de plus étrange que d’entendre le metteur en scène, Philippe Person, réitérer « Est-ce qu’on peut éteindre la clim ? » tandis que sur scène brille un arbre de noël et tombe des cintres une poudreuse prémonitoire. C’est l’hiver. Et non, pourtant, la programmatrice ne s’est pas trompée, sous les tropiques, nous sommes concernés par ce chef d’œuvre d’Henrik Ibsen. Sur de nombreux points.
La bande de neige qui encadre l’espace délimite un huis-clos angoissant qui va piéger peu à peu les personnages. D’abord Nora. Juste au moment où elle pensait aborder des temps meilleurs. C’est un thriller à la Hitchcock qu’a voulu monter P. Person.
La musique prend sa part de cette intention. Alexandre est également aux manettes des éclairages. Il suit les acteurs au centimètre près. Créatif, avec l’équipe du théâtre municipal, il a métamorphosé la baie vitrée du décor initial, intransportable en avion, en une fenêtre de tulle d’abord invisible sur le fonds des rideaux noirs de la scène. Par le jeu de lumière y apparaissent et disparaissent les personnages. Cette zone, antichambre de la maison, sas entre l’extérieur et l’intérieur, le conscient et l’inconscient, s’emplit ainsi de mystère. La magie opère, les voix modifiées, font basculer le récit dans un surnaturel particulier. Le sens en est bousculé…
Les quatre* comédiens s’écoutent, s’entraident, ils parlent d’alchimie entre eux quant à leur relation. Et pour « Une maison de poupée », pièce aussi complexe que son titre ne l’indique pas, c’est nécessaire. Dans le filage, par exemple, un échange sans heurt et sans mot dire se fait entre Person et P. Calveiro, lui-même metteur en scène dans sa propre compagnie. Leurs destins sont parallèles.
Plus jeune, ce dernier tient le rôle de Torvald Helmer, le mari, futur directeur de banque. De façon sautillante, aussi sûr de sa morale et de ses principes qu’est ce personnage. C’est un acteur subtil qu’on a pu voir en Avignon à la même époque dans « Juste la fin du monde » de J-L Lagarce.
Il joue l’époux de Nora, Florence Lecorre, tout aussi talentueuse, dont l’énergie généreuse dans une si frêle silhouette, se débat entre ce parangon de vertu et le pervers Krogstad, P. Person. Comment rester pure aux yeux de son mari, comment échapper à l’hérédité d’un père moins scrupuleux en affaire que souhaité ?
La vérité de Nora, le chemin de sa liberté ne s’enferme pas dans cette dualité. Amorale ? Scandaleuse, finalement. Elle commet l’impensable : abandonner ses enfants ! « Ich mwen ! » Comment est-ce possible ? La femme ne résume-t-elle pas son essence à la maternité ? Être un poto-mitan ou rien ?
Les enfants, symbolisés par les cadeaux déposés par leur mère au pied du sapin, n’existent pas vraiment, ils sont absents car ils ne peuvent être tels que maintenant i.e. à l’image de leur père ou leur grand-père. Ils sont à venir, à créer. Tout comme la nouvelle Nora. Elle les abandonne donc comme son mari, sa famille, son histoire, sa classe sociale…comme une peau fabriquée par le regard de l’autre, de la société.
Ce n’est pas qu’une question de genre. Jusqu’à quelle strate doit-on, peut-on, faire sa mue pour être enfin soi-même ? Jusqu’à quel point peut-on contraindre son désir de domination de l’autre afin de le laisser vivre libre, en gagnant ainsi sa propre liberté ?
« Une maison de poupée », celle d’Ibsen ou de Person, nous concerne pleinement, à nous de mettre en lumière les questions que soulève Notre Maison de Poupée à nous.
*Nathalie Lucas incarne Mme Linde, « La » ménagère de 50 ans, utile à la progression dramatique, faire valoir utile et amie de Nora…