— Par Yves-Léopold Monthieux —
Tant en raison des limites démocratiques de sa conception et de son élaboration que pour les imperfections de son contenu, on a déploré à juste titre la mise en œuvre de la loi de juillet 2011 créant la collectivité territoriale de la Martinique (CTM). Il ne fait de doute pour personne que les anomalies statutaires sont les fruits amers de dispositions empruntées à la collectivité prévue dans le cadre de l’article 74 de la constitution. Aussi, l’issue des opérations électorales alambiquées de janvier 2010 a donné raison aux citoyens qui avaient vu dans l’organisation d’un référendum de rattrapage, le 24 janvier 2010, le refus d’accepter le verdict populaire du 10 janvier précédent. Ainsi, par un subterfuge institutionnel qui ne connaît pas d’exemple en France, le président de la République Nicolas Sarkozy réussissait à mettre la Martinique sur un cap institutionnel que les Martiniquais avaient massivement refusé, et ainsi satisfaire certaines ambitions locales.
Par ailleurs, en se laissant octroyer un nouveau statut, les élus autonomistes et indépendantistes qui n’ont jamais convaincu les électeurs du bien-fondé de leurs thèses se sont retrouvés en situation d’assistanat. D’assistanat politique, cette fois. Ils se sont contentés sans vergogne de l’aide accordée larga manu par le colonisateur. Mais il est vraisemblable qu’un historien martiniquais écrive un jour que les Martiniquais ont obtenu la suppression du département au moyen de leurs seules forces.
Ainsi donc, des statuts prévus pour un petit gouvernement issu de l’article 74 ont été transcrits à la hâte pour la CTM, collectivité de l’article 73, donnant naissance à ce que j’ai appelé un « monstre institutionnel ». Dès février 2016 j’ai souligné, entre autres anomalies de ces statuts, celle stipulant que le départ du président du conseil exécutif entraîne ipso facto la fin de partie pour les 8 autres membres. Cette info avait fait sourire et hausser les épaules. En réalité, le sort de tous étant lié à celui du président, la motion de défiance ne paraît pas être en mesure d’être utilisée en dehors d’un cas de démence de celui-ci. On en est loin.
S’agissant de la question de savoir qui est statutairement le chef de la CTM, deux réponses sont possibles : l’une statutaire, l’autre politique. La première réponse se trouve, même si elle est quasiment inopérante, dans l’existence même de la motion de défiance. Le fait que celle-ci ait été prévue pour destituer le président de l’exécutif (et non le président de l’assemblée) suffit à indiquer que c’est bien lui qui est le véritable chef de la CTM. L’autre réponse tient de la réalité politique singulière qui émane de cet imbroglio institutionnel. Entre les deux fonctions de président de l’assemblée et de président du conseil exécutif, c’est celui qui détient la majorité politique de la CTM qui est, de fait, le véritable patron de la CTM. Si Alfred Marie-Jeanne qui a mené sa liste à la victoire et dont le parti est majoritaire au sein de l’alliance avait choisi d’être président de l’assemblée, il aurait été également, à cette fonction, le patron de la CTM. Il aurait été encore plus puissant qu’aujourd’hui, puisque, en tant que chef de la majorité, il aurait pu provoquer la destitution du président de l’exécutif, donc des 8 autres membres, sans aucun risque pour lui-même.
On observera enfin qu’à l’exception de Claude Lise, sénateur et président du conseil général au moment du vote de cette loi, aucun de ceux qui tenaient la main des rédacteurs n’appelle aujourd’hui à corriger les graves imperfections des statuts. A un président du conseil exécutif autoritaire, pourrait succéder un autre président qui ne serait pas moins arbitraire.
Confirmant mes tribunes précédentes, il y a urgence de modifier, sur le modèle de la collectivité de Guyane, cette machine à fabriquer des dictateurs qu’est l’actuelle CTM.
Fort-de-France, le 7 octobre 2018
Yves-Léopold Monthieux