Les rencontres théâtrales académiques ont joué les prolongations les 09 et 10 mai 2007 grâce à la complicité de Michèle Césaire qui a mis à disposition la salle du théâtre de Foyal pour que les parents de nos chères têtes crépues ou non, blondes ou non puissent découvrir l’étendue des talents de leurs progénitures. Ceci est à prendre au sérieux, car il faut les avoir entendus disserter allègement sur l’étonnante modernité de Marivaux par exemple, il faut les avoir vus investir l’espace scénique avec un bonheur parfois inégal mais souvent inégalé pour ne pas douter de l’existence d’un potentiel théâtral non négligeable en Martinique. Ces adolescents là s’y connaissent en théâtre et ils pourraient en remontrer à plus d’un «critique».Les sections théâtre dans les établissements scolaires fonctionnent en partenariat avec des comédiens, metteurs en scène, gens de la scène. Jandira Bauer, d’origine brésilienne et qui vit depuis de longues années en Martinique est une de ceux-là et à ce titre elle a accompagné, guidé, suscité plus d’une vingtaine de travaux d’élèves présentés au début du mois de mai dans la salle Frantz Fanon de l’Atrium. Deux soirées résumaient ces chantiers au théâtre de foyal.Jandira Bauer a gardé de sa fréquentation du Théâtre du soleil sous la direction d’Ariane Mouchkine un sens étonnant de l’occupation de l’espace, du mouvement, des entrées et des sorties de scène, de la sobriété du jeu au service du texte dans une exubérance et un foisonnement imaginaires qui ravissent les adolescents. Ils peuvent par cet intermédiaire faire part de ce qui les travaille, à cet âge, sans qu’il soit besoin d’en dire davantage. Il y a chez Jandira Bauer, qui encadre ces activités tantôt avec Monique Percheron, tantôt avec Agnès Coudert ou Widad Amra, un accès direct et très naturel aux préoccupations intimes des apprentis comédiens avec lesquels elle travaille, qui quelques fois émerveille, quand files et fils de béké, mulâtre, et « plus noir qu’hier soir », se mêlent, se roulent, s’enlacent et se déprennent, en tout bien tout honneur, il va de soi, enchevêtrés dans une mise en scène audacieuse qui pour une fois, laisse entendre le texte de « Moi, chien créole » de Bernard Lagier. Il est des professionnels qui n’ont pas ce talent. Nous en avons eu la démonstration il n’y a pas si longtemps.Le choix des travaux présentés était très éclectique. Daniel Keene, Marivaux, Jean-Michel Ribes, Tchekhov, Amélie Nothomb, Pinter, etc. ont été joués. Lux in tenebris de Bertold Brecht présenté par des élèves du Lycée Schoelcher encadrés par Patrick Womba et Agnès Coudert a retenu l’attention, mais il en est d’autres. Le Lycée Saint-joseph de Cluny fournissait des effectifs très importants, ce qui par association permettait de se remémorer l’importance capitale qu’accordaient les Jésuites au théâtre dans la formation de leurs élèves. Que ceux dont la réputation de pédagogues n’est plus à faire aient investi, d’un telle manière une telle activité n’est pas tout à fait anodin. Les parents dans la salle étaient souvent saisis d’un effet de sidération : « Comment, c’est mon fils, ma fille là sur scène! Mais je ne savais pas qu’il ou elle pouvait faire ça! » Sentiment à situer entre familiarité et étrangeté toute aussi inquiétante l’une que l’autre quand on découvre des facettes méconnues chez ceux que l’on est sensé le mieux connaitre : ses propres enfants.
La même semaine l’ADAPACS ( www.adapacs.net) partie prenante dans ces ateliers-théâtre co-organisait avec ETC Caraïbes , une rencontre avec Gustavo Ott, un auteur vénézuélien , metteur en scène, pédagogue et directeur du Théâtre San Martin de Caracas, autour d’une lecture plutôt réussie, grâce aux talents de Amel Aidoudi, Daniely Francisque et Aliou Cissé de » Deux amours et une petite bête ». Au cours d’une conversation avec ses parents une jeune vétérinaire redécouvre que son père a été emprisonné pour avoir tué un chien « homo-sexuel ». Ce presque rien va déclencher toute une interrogation, une mise en abime des rapports à l’autre, de la confrontation à la différence, des rôles sociaux imposés et mal appris, mal assimilés, notamment à travers la description du comportement des animaux d’un zoo. Gustavo Ott s’inspire d’un fait divers réel ou supposé, peu importe pour faire œuvre théâtrale. Il le fait avec légèreté et gravité et la distanciation suffisante pour laisser entendre que cela nous concerne. Ce ne sont pas les fables de La Fontaine mais il y a du moraliste chez Gustavo Ott.
Les problématiques des auteurs vénézuéliens sont assez éloignées de celles de nos auteurs antillais. Sans doute est-ce dû aux conditions d’émergence d’un art théâtral à Caracas. Il y a trente ans, déclarait Gustavo Ott il n’y avait rien. Tout était à inventer. Les lieux, les textes, les publics. Il a fallu tout faire. Les troupes de théâtres, comme celle du Théâtre San Martin se sont constituées dans le refus de la spécialisation des rôles, et du compartimentage des tâches. Pas de metteurs en scène d’un côté, d’auteurs de l’autre et des comédiens entre les deux. Quant au public il a fallu aller le chercher, donc lui parler, incarner des questionnements posés en des termes, des approches, qui le concernaient loin de toute dérive « nombriliste ». Et il est vrai qu’il existe un théâtre antillais qui n’en finit pas de digérer la petite madeleine de Combray, ce en quoi il est terriblement français. La lecture de » Deux amours et une petite bête » et le fructueux dialogue avec Gustavo Ott qui a suivi, a montré qu’il existait des formes moins égocentrées, plus sociales et plus sociologiques de questionnements existentiels et identitaires. L’œuvre d’un immense Césaire a sans doute des effets inhibiteurs sur nos auteurs antillais qui se risquent à l’écriture théâtrale.
A ce titre il faut souligner le travail de défricheurs dans l’arc antillais d’associations comme Etc Caraîbes ou plus modestement en Martinique l’ADAPACS sans lequel ces rencontres , ces échanges, ces enrichissements mutuels ne seraient pas.
R.S.