— Par René Ladouceur —
Il faut être bien isolé des Guyanais et du battement vital de la Guyane pour ne pas se rendre compte que, depuis l’affaire du squat de la rue madame Payée, leur colère est montée de plus d’un cran. Les propos particulièrement indignés de l’écrivaine Aline Chanol, l‘autre soir sur Télé-Guyane la 1ère, sont sans doute l‘expression la plus achevée de cette exaspération grandissante.
Crise de confiance ? Crise de conscience ? Crise statutaire ? Crise de croissance ? Depuis la grande mobilisation de 2017, politiques et commentateurs discutent souvent de cette épineuse question. Vieille histoire, en vérité : à Byzance, moines et érudits débattaient du sexe des anges cependant que les troupes du sultan étaient sur les remparts… Quel que soit le nom que l’on s’accorde à attribuer à cette crise, la Guyane est confrontée à des problèmes structurels majeurs que l’Hexagone ne se résout toujours pas à régler. Et, de Cayenne à Camopi, la colère enfle, à telle enseigne que la seule question qui se pose à tous ceux que préoccupe l’avenir de la Guyane devrait être : mais comment l’apaiser ?
Encore faudrait-il, si l’on prétend y parvenir, ne pas se tromper sur les véritables causes de la tempête qui nous menace. Or, depuis quelques mois, on observe, au sommet de l’État en Guyane, un étrange phénomène de cécité sélective. Les 500 frères, Les grands frères, Trop violans, voici les seuls coupables ! Leur neutralisation, voilà le principal objectif qu’il importe de se fixer.
En somme, l’essentiel, pour les pouvoirs publics, est que le mécontentement social ne prenne pas une forme organisée pouvant déboucher sur une action politique de grande ampleur. On devine, de ce point de vue, que les autorités préfectorale, judiciaire, policière, et peut-être même militaire, suivent avec une attention toute particulière l’organisation de la première conférence publique de PANGA, la formation politique que le Député Gabriel Serville ambitionne de lancer au mois d’octobre prochain.
PANGA a vocation à réunir tous ceux que craignent les dites autorités : les Guyanais qui croient encore à la mobilisation de l’an dernier. Dans le reportage télévisé qui lui a été consacré, Aline Chanol déclare, comme en écho au post d’indignation de l’avocate Magali Robo publié quelques jours plus tôt, que lorsque, dans les locaux de la police judiciaire, elle a prononcé le nom des 500 frères, le sang de l’officier de police qui l’interrogeait n’a fait qu’un tour. Bon sang ! C’est par ce groupe que la médiatisation de l’exaspération des Guyanais est arrivée. Il faut donc le réduire au silence, y compris d’ailleurs par la voie judiciaire.
On ne dira jamais assez combien ce jeu est dangereux. Compte tenu du climat délétère ambiant, on ne peut exclure que la colère de la rue, localisée pour l’heure essentiellement à la ville de Cayenne, finisse par gagner la Guyane entière, se transformant en torrent balayant tout sur son passage.
Et ce n’est pas la publication des avancées des Accords de Guyane qui y fera quelque chose. Car, au fond, ce fossé qui se creuse entre la Préfecture de Guyane et les Guyanais signifie que Paris a échoué à régler des problèmes arrivés à maturité.
Le chômage qui frappe les jeunes, le phénomène des mules qui explose, la squatérisation qui se développe, l’insécurité qui s’installe, la pauvreté qui touche plus de quatre habitants en Guyane sur dix, la flambée des prix qui lamine le pouvoir d’achat de ceux qui travaillent, sur fond de creusement des inégalités sociales, sont bien les symptômes de l’absence d’une politique en mesure de satisfaire les attentes des Guyanais.
D’autant que ces derniers ne demandent pas la lune : ils veulent seulement jouir des deux principaux attributs de ce que le Procureur de la République, Eric Vaillant, appelle un État de droit : le droit à la sécurité et le droit à la propriété.
Si la France mettait autant d’énergie pour développer la Guyane qu’elle en met aujourd’hui pour étouffer les 500 Frères, nous serions un pays sur-industrialisé depuis longtemps.
René Ladouceur