— Par Selim Lander —
Sur la route (la mort de Sandra Bland)
Une jeune afro-américaine est morte victime des violences policières. De ce fait divers réel Anne Voutey – dont la m.e.s. du Gardien (de Pinter), avait obtenu le prix du meilleur comédien aux Ptits Molières en 2015 – a tiré une pièce émouvante interprétée par trois comédiennes (en alternance, ce qui explique qu’elles soient cinq sur l’affiche). La comparaison avec La Reprise de Milo Rau présentée dans le IN cette année s’impose en raison de la proximité des thèmes. Dans La Reprise Ihsane Jarfi est battu à mort par de « pauvres types » parce qu’il est homosexuel et « arabe », dans Sur la route la victime d’un policier (on la retrouvera pendue dans sa cellule trois jours après son arrestation) est jeune et noire. A cela près, on a affaire à la même bêtise raciste chez les assassins. Or on ne peut imaginer des traitements plus différents de ces faits divers similaires que ceux imaginés par les deux auteurs-metteurs en scène. Là où Rau tourne autour du personnage d’Ihsane, en s’intéressant aux parents, aux meurtriers, etc., A. Voutey reste centrée sur Sandra Bland. Les deux partis se défendent même si le second apparaît évidemment bien plus limité. Mais l’on gagne en profondeur ce que l’on perd en espace. Et le portrait choral de la jeune femme noire bénéficie de la séduction des trois jeunes comédiennes, noires également, qui l’interprètent. La m.e.s. ne cherche pas les fioritures : les comédiennes, le plus souvent en position frontale, se renvoient la balle, c.à.d. le texte ; pour seuls accessoires trois pneus évoquent l’automobile au volant de laquelle se trouvait la victime lorsqu’elle a été arrêtée pour défaut de clignotant.
Le portrait brossé par A. Voutey semble fidèle au personnage de Sandra Bland tel qu’il a été décrit au moment de son décès (e.g. in Libération du 23 juillet 2015) : une jeune femme militante des droits civiques et particulièrement impliquée dans le mouvement Black lives matter. Peu de temps avant son arrestation par le policier Brian Encina, elle avait tweeté un texte dont on ne peut s’empêcher de penser qu’il était prémonitoire, même si la justice a conclu à un suicide : « On ne peut pas s’empêcher d’être furieux quand on voit une situation où, clairement, la vie des Noirs ne compte pas. Vous pouvez être là, vous rendre à la police, et quand même être tué ». L’enregistrement de son arrestation, bien que peut-être trafiqué, montre en tout cas qu’elle s’était passablement énervée, au lieu de faire profil bas devant la police comme les Noirs l’apprennent très vite, aux Etats-Unis…
Le texte d’A. Voutey fait ressortir différentes facettes de son personnage et la distribution du rôle entre trois comédiennes fonctionne. C’est S. Bland qui s’exprime de bout en bout à la première personne, aussi est-on surpris parfois par des mots (comme « intranquilité ») ou des expressions qui semblent quelque peu incongrus dans un récit de ce genre. Quoi qu’il en soit, autant pour son sujet que pour la façon dont il est interprété, Sur la route mérite le détour.
Zarts Prod.
Ma parole !
Ce n’est pas notre habitude de courir les seuls en scène lors du festival. Il y a tellement de choix, autant se diriger vers ce qui fait pour nous vraiment théâtre, c’est-à-dire des textes à plusieurs personnages entre lesquels des conflits apparaissent, des intrigues se nouent… Mais les contraintes horaires du programme étant ce qu’elles sont, on se retrouve parfois devant une pièce avec un seul personnage (même s’il est à plusieurs voix comme Sur la route) ou devant un seul comédien. En l’occurrence, Vincent Roca, qui perpétue la grande tradition des « chansonniers », n’est pas n’importe qui. Les auditeurs de France Inter, en particulier, ont appris depuis longtemps à goûter ses bons mots.
Le spectacle qu’il présente en Avignon depuis l’année dernière est fait de bric et de broc, ce qui n’enlève rien à ses mérites : au contraire, la variété est tout ce qu’on souhaite dans un tel cas. Si Roca commence son discours par sa naissance, il a le bon goût de ne pas le clore sur son décès (d’autant qu’il apparaît, sur le plateau, plus vivant que jamais), même s’il a un couplet sur les vieux parqués dans des « chenils » (ou serait-ce que le mot ne vient pas vraiment de la contraction de « chenu » et de « sénile » ?) et un autre sur le suicide justement défini comme « une fin en soi ». Et encore ceci à propos du même : « Si une tentative de suicide réussit, on peut parler décès concluant ». Et quand elle échoue, il ne faut surtout pas désespérer : « Regardez le pendu qui se rate. Pris de remords, il se repend » ! On l’aura compris – si l’on ne le savait déjà – Roca est un orfèvre qui cisèle ses calembours et autres calembredaines comme nul autre (même si on a pu le comparer à Devos). Aucun sujet ne lui fait peur, lui qui « se prélasse avec des prélats, va dans des hammams avec des imams et des rabbins turcs […] écoute la musique pope, s’éclate dans les bals mosquée, les pince-messes… ». Son numéro ? récital ? actuel comporte aussi – et entre autres choses – deux passages remarquables sur le conjugaison. Du passé simple : « Bach vous le fréquentâtes / Sous la couette nous nous plûmes, etc. ». A, plus savant, l’imparfait du subjonctif : « Eussiez-vous imaginé un jour que les marguerites durassent ?, etc. ». Si après ces quelques exemples vous ne vous précipitez pas en foule compacte pour écouter monsieur Roca…