— par Janine Bailly —
Dr Nest : par le collectif Familie Flöz (Berlim/Alemanha), sous la direction de Hajo Schüler
En 1995, un petit collectif d’acteurs et de mimes se constitue en Allemagne, à l’initiative de Hajo Schüler. Il deviendra la troupe aujourd’hui dénommée « Familie Flöz », et qui très vite, dès la création de sa troisième pièce, abandonnera l’utilisation du langage pour ne garder que le jeu des corps, les tableaux visuels, les sons et la musique. Redonnant vie à l’art du masque, et maîtrisant l’art de tout dire et tout faire entendre sans paroles, Familie Flöz s’est approprié un langage universel qui résonne avec force, que l’on peut décrypter sans peine, et qui sait trouver le chemin de notre cœur, que nous soyons petits ou grands.
Conçus pour chaque pièce par Hajo Schüler lui-même, dans l’atelier berlinois du collectif, les masques, loin de cacher démasquent, chacun ayant une individualité bien marquée, chacun suffisant à camper un personnage rapidement identifiable. Car le masque, s’il est adéquat, en figeant les traits dévoile un caractère. Le comédien au visage caché devient, selon l’actrice Anne Kistel, « beaucoup plus vulnérable, et plus nu », en ce sens qu’il lui faut par le corps, par les gestes, par les postures et les déplacements en scène, faire comprendre ce qu’il ne saurait dire. Étonnamment, un simple mouvement de tête, une inclinaison plus ou moins prononcée sont porteurs de sens, et l’on croit lire dans le regard qui se devine lumineux et changeant au travers du masque.
La pièce Dr Nest se déroule dans un hôpital psychiatrique, entre réalité, trivialité des jours ordinaires, rêves, cauchemars et fantasmes que traduisent, outre les personnages, couleurs lumières et sons. Ici, difficile de savoir qui est normal et qui ne l’est pas ! Et si le psychiatre en principe détient le pouvoir — un pouvoir symbolisé par la blouse blanche que tous se disputent par des tours de passe-passe comiques au début de l’histoire — lui aussi en vient à douter de sa raison, comme victime d’un dédoublement de personnalité. Sous ses yeux, et les nôtres, se défait la ligne qui était censée séparer le normal de l’anormal !
Dans un décor de panneaux extrêmement mobiles, qui s’assemblent ou se séparent pour figurer les différents espaces, de l’hôpital ou de l’extérieur, dans la pleine lumière ou l’obscurité bleutée de la nuit, les pensionnaires ne cessent d’entrer et sortir, de se dissimuler derrière les portes, de frapper au carreau, créant quiproquos, étonnements et surprises. Jouant sur les cordes de l’absurde et de la tendresse, entre rires et gravité, entre comique et tragédie, Familie Flöz pose sans paroles les questions essentielles sur un certain fonctionnement de la médecine, sur notre propre rapport à la normalité et à la folie, sur la fragilité de notre existence aussi.
Selon les mots du collectif, inspirée par des études de cas authentiques réalisées dans le vaste domaine de la neurologie, la pièce Dr Nest ouvre au spectateur les portes d’un établissement psychiatrique fictif, où il observera les « comportements bizarres de ses résidents — le personnel y compris ». La pièce permet par les masques et à travers les masques, de « jeter un regard sur la mystérieuse cartographie du cerveau et sur les profondeurs de l’âme ».
Sans une parole certes, mais sur l’offrande finale d’un « concert » de sonnettes agitées par la troupe au complet, assise face au public, puisqu’aussi bien la musique est un autre langage universel. Sans un mot, mais avec une rare intelligence, une grande sensibilité, et toujours dans le respect de l’autre, acteur, personnage, spectateur ! Avec un sens inné du théâtre !
À savoir :
La pièce Dr Nest, plébiscitée par le public, obtient le premier prix devant La Gioia, de Pippo Delbono (La Joie), et Bonecos de Luz (Poupées de lumière), création de Rodrigo Francisco, dramaturge, metteur en scène de Companhia de Teatro de Almada et directeur artistique du Festival de Almada (spectacle qu’hélas je n’ai pas pu voir !). Le collectif Familie Flöz reviendra donc l’année prochaine, en invité d’honneur de la trente-sixième édition !
Vidéo Paul Chéneau
Almada, le 21 juillet 2011