Présentation
Céline Gahungu
Si des études consacrées à Yambo Ouologuem n’ont pas cessé de paraître depuis le tournant des années 1970 – de Bernard Mouralis1 à Christopher Wise2, des recherches fondatrices ont contribué à mettre en perspective sa poétique et sa trajectoire –, les travaux récents signalent un regain d’intérêt pour l’écrivain dernièrement disparu3, dont le célèbre roman Le Devoir de violence vient d’être réédité aux Éditions du Seuil cinquante ans après sa première publication, en 19684. L’essai de Sarah Burnautzki paru en 2017, Les Frontières racialisées de la littérature française. Contrôle au faciès et stratégies de passage5, et les journées d’étude internationales organisées à l’Université de Lausanne par Christine Le Quellec Cottier et Anthony Mangeon les 18 et 19 mai 2018, « 1968-2018. L’œuvre de Yambo Ouologuem, un carrefour d’écritures ?6 », vont sans nul doute ouvrir la voie à de nouvelles recherches.
La prise en compte de l’ensemble de la production de l’écrivain, jusqu’aux confins des « contre‑littératures7 », son inscription dans le contexte culturel, sociologique, idéologique et philosophique des années 1960, l’analyse des archives éditoriales du Seuil conservées à l’IMEC8, les démarches posturales et les approches interdisciplinaires favorisées par les études culturelles et postcoloniales sont quelques-unes des pistes désormais frayées, et qui le seront probablement de plus en plus.
Préfacier des Mille et une bibles du sexe9 qu’il a réédité et chercheur associé à l’ITEM/CNRS, Jean‑Pierre Orban est l’un des acteurs de cette recherche. Il propose dans ce numéro hors-série de Continents Manuscrits, « Livre culte, livre maudit : histoire du Devoir de violence de Yambo Ouologuem », une nouvelle plongée au cœur des archives du Seuil, en partie inédites. Pas à pas, embrassant une période qui court de 1963 à 1982, Jean‑Pierre Orban renoue les fils épars des documents archivés, depuis la correspondance et les notes de lecture jusqu’aux fiches de fabrication. Génétique, sa démarche retrace la genèse du roman, son processus éditorial et interroge les enjeux liés aux accusations de plagiat.
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Notes
1 Bernard Mouralis, « Un Carrefour d’écritures : Le Devoir de violence de Yambo Ouologuem », Recherches et travaux, no 27, 1984, p. 75-92.
2 Christopher Wise (dir.), Yambo Ouologuem : postcolonial writer, islamic militant, Boulder/Colorado, Lynne Rienner Publishers, 1999, p. 1-14 ; p. 199-218 ; p. 219-230. Christopher Wise, par ailleurs, a préfacé la réédition, en 2003, du Devoir de violence. Yambo Ouologuem, Le Devoir de violence, [1968], Paris, Le Serpent à plumes, coll. « Fiction française », 2002.
3 Yambo Ouologuem est décédé le 14 octobre 2017.
4 Yambo Ouologuem, Le Devoir de violence, [1968], Paris, Éditions du Seuil, 2018. En novembre 1968, le prix Renaudot est attribué au roman.
5 Sarah Burnautzki, Les Frontières racialisées de la littérature française. Contrôle au faciès et stratégies de passage, Paris, Honoré Champion, coll. « Francophonies », 2017.
6 Le programme est consultable à l’adresse suivante : http://www.asso-unil.ch/unilea/files/2018/04/Programme-Y.-Ouologuem.-Lausanne-18-19-mai-2018.pdf. Les actes des deux journées d’étude seront publiés prochainement.
7 Bernard Mouralis, Les Contre-littératures, [1975], avant-propos d’Anthony Mangeon, Paris, Hermann, coll. « Fictions pensantes », 2011.
8 Institut Mémoires de l’édition contemporaine.
9 Yambo Ouologuem (sous le pseudonyme d’Utto Rudolf), Les Mille et une bibles du sexe, [1969], préface de Jean-Pierre Orban et Sami Tchak, La Roque d’Anthéron, Vents d’ailleurs, coll. « Pulsations », 2015.
Pour citer cet article
Référence électronique
Céline Gahungu, « Présentation », Continents manuscrits [En ligne], HS | 2018, mis en ligne le 28 mai 2018, consulté le 05 juin 2018. URL : http://journals.openedition.org/coma/1220
Jean-Pierre Orban
Livre culte, livre maudit : Histoire du Devoir de violence de Yambo Ouologuem [Texte intégral]
En septembre 1968, paraît aux Éditions du Seuil le roman d’un jeune Malien inconnu de vingt-huit ans : Yambo Ouologuem. Le 18 novembre suivant, Le Devoir de violence obtient le premier prix Renaudot attribué à un écrivain africain. Son succès est rapide et, traduit dans dix langues, l’ouvrage dépasse les frontières, des États-Unis au Japon. Mais le 5 mai 1972, le Times Literary Supplement (TLS) londonien accuse l’auteur de plagiat à l’encontre de l’écrivain britannique Graham Greene. Un scandale éclate. Il poursuivra Yambo Ouologuem jusqu’à sa mort en 2017. Cinquante ans après la première édition du Devoir de violence et alors que le roman reparaît au Seuil dans la collection « Cadre Rouge » qui l’avait accueilli à l’origine, quarante-six ans, mois pour mois, après le début de l’« Affaire Ouologuem » dans le TLS, qu’en est-il du bien ou mal-fondé des rumeurs qui ont surgi, en sens divers, sur la genèse et le traitement éditorial de ce livre culte devenu livre maudit ? S’appuyant sur le seul dossier solide à ce jour, celui des archives du Seuil déposées à l’IMEC (Institut Mémoires de l’Édition contemporaine) et rendues publiques pour la première fois, cette étude vise à relater, sur la seule base des documents disponibles, en réduisant au minimum les extrapolations risquées et les interprétations hâtives, l’histoire du Devoir de violence et, à travers elle, de son auteur, depuis ses premières approches des Éditions du Seuil en 1963 jusqu’à sa retraite définitive au Mali vers 1976. Et son enfermement dans le silence public.