« L’esprit du jazz » mise en scène de Rosemonde CATHALA

— Par Roland Sabra —

Thelonious Monk

 Thelonious Monk est un personnage peu ordinaire. Ce pianiste de jazz est un prodige. Né en 1917, il touche son premier clavier vers l’âge de cinq ans, prend quelques rares leçons aux environs de 12ans et gagne trop souvent le concours des pianistes amateurs au « Theater Apollo » de New York qu’il est interdit de participation à 13 ans.  il se définira comme un autodidacte :  » « En fait, je n’ai jamais eu besoin d’apprendre à jouer : j’étais doué. Il me semble que j’ai toujours su lire les notes et les traduire en sons. Ma sœur aînée prenait des leçons de solfège ; moi, je lisais par-dessus son épaule. Lorsque j’ai pris des leçons à mon tour, je n’ai pas eu à apprendre, j’en savais assez pour pouvoir me débrouiller. » Hors du commun il ne pouvait qu’inventer, créer de toutes pièces. On lui doit un nouveau style musical le be-bop. Sa façon de jouer créa aussi de l’incompréhension, en bousculant la mélodie, l’harmonie, le rythme et en développant, ( jusqu’à l’excès?) l’art des notes dissonantes dans ses ballades. il jouait avec les doigts plats et était très mobile. « C’était un grand musicien, un novateur, surtout en composition et en écriture. Il avait l’habitude de marquer le tempo en bougeant pieds et jambes . s’ils bougeaient tout le temps, il était parti; sinon, c’était raté.« 

Thelonious Monk était donc un génie et le monde n’est pas fait pour les génies. C’est ce que Rosemonde Cathala nous conte dans son spectacle « L’esprit du jazz », créé en 2008 à Marciac et présenté les 10 et 11 juillet 2009 à Fort-de-France. Quand la pièce commence Monk est déjà « à l’ouest », borderline au mieux, tout à fait schizo au pire. La metteure en scène joue  sans doute avec la vérité biographique de Monk. en imaginant une rencontre un soir de 1957 entre Monk, installé au club du Five Spot et Louis Amstrong entré là par hasard. En 1957 Monk sortait d’un interdiction de jouer dans les clubs de New York à la suite d’une affaire de drogue. Sitôt sa peine purgée il fut de nouveau interdit pendant deux ans pour récidive et son passage à « l’autre scène », ses délires, avant son enferment dans un solide mutisme, datent sans doute de la fin des années soixante. Mais on le sait, l’auteur de théâtre n’est pas un historien, il est plus préoccupé par le vraisemblable que par la vérité. Donc ce soir là Amstrong découvre un Monk délirant obsédé par un appel à la trompette que Miles Davis à lancé dans l’exécution de « The Man I Love », brisant ainsi le silence du pianiste qui s’était arrêté de jouer pour atteindre  dans sa pureté absolue l’Esprit même du jazz. Miles Davis n’a rien compris; voilà ce que ressasse Thelonious Monk ce soir de 1957. Un long échange, confus forcément confus, va s’engager entre les deux musiciens et qui tournera autour des rapports interraciaux, de l’esclavage, de l’émancipation, de l’identité.. Antienne dont on se demande parfois si elle ne cache pas une impuissance à envisager autre chose ou  s’il ne s’agit pas de « Sanglots de femme blanche », façon Bruckner, de la part de l’auteure?

Rosemonde Cathala utilise la supposée folie de Monk pour lui faire tenir un discours qui puise sa source au ressentiment et, qui dérape à certains moments, dans la xénophobie et même le racisme, ce dont vont s’offusquer les autres protagonistes.  Le motif de ce délire sera la présence en fond de scène de musiciens blancs, qui, sur une partition de Wynton Marsalis et Emile Parisien, vont illustrer  une récupération et une appropriation du jazz par ceux qui ne l’ont pas inventé. Le propos de l’auteure est très certainement de souligner le caractère  aujourd’hui universel de cette musique née dans les champs de coton, mais la difficulté à laquelle elle se heurte tient à la représentation de la folie sur scène. On a vu récemment dans Psychose 4:48 la gageure d’un tel travail. Deux comédiennes vont illustrer les démons intérieurs qui viennent tourmenter le pianiste dans ses dérapages. L’utilisation d’un écran parfois translucide qui par moments sépare les musiciens des comédiens va mettre en évidence la projection fantasmatique, caricaturale et néanmoins stylisée, de la souffrance de Thelonious Monk . Si les procédés scéniques suggèrent assez bien le rapport halluciné que celui-ci entretient avec lae réalité, ils ont beaucoup plus de mal à crédibiliser la possibilité d’un échange réel avec Amstrong. Ladji Diallo incarne le trompettiste, façon « Case de l’oncle Tom » sur un registre en dessous de la prestation de Jean-Michel Martial dont il faut dire qu’il dépense une telle énergie sur scène qu’on ne peut douter de l’intérêt qu’il porte au texte qu’il doit faire vivre. On regrettera seulement que la confusion mentale du personnage se traduise parfois par une confusion et une inattention chez le spectateur, comme si la folie n’était pas évoquée par le verbe mais plus directement convoquée dans l’acte scénique. Un spectacle  original  et réussi avec quelques longueurs, une distribution inégale, une performance, proche du numéro, de Jean-Michel Martial, quelques trouvailles de mise-en scène, de bons musiciens, une belle partition. Du bon travail.

 

 

 

Jean Michel Marial et Ladji Diallo

 

 L’esprit du jazz »

Mise en Scène: Rosemonde CATHALA

 

 Assistant à la Mise en scène: Nicolas STEPHENSON

 

Conception décor: Emmanuel PUJOL

 

 Réalisation décor: Edouard GRYSOLLE / Pierre -jean MORENO

 

 Création lumière: Anne BOUHOT / Laurent ARANDA

 

 Création son :Jean-François MANUEL /jean Claude FOIS

 

Régisseur plateau: Thomas DAVIDIVICI

 

Intervenante danse: Dominique GENTILLET

 

Conseiller jazz: Jacques ABOUCAYA

 

 Graphiste: Manuela CATHALA

 

Comédiens: Jean-Michel MARTIAL, Ladji DIALLO, Emmanuelle MEYSSIGNAC, Pauline LECOQ

 

 Musiciens : Emile PARISIEN, Sylvain DARRIFOURCQ, Ivan GELUGNE, Julien TOUERY