— Par Yves-Léopold Monthieux —
A une commémoration de la mort de Frantz Fanon, deux personnalités étrangères avaient été invitées par des anticolonialistes martiniquais. J’avais observé alors que l’évènement n’avait concerné qu’une chapelle et que des militants connus de l’anticolonialisme en avaient été écartés. Je m’étais interrogé sur ce que pouvaient penser les filles de CHE GUEVARRA et de MALCOM X (je crois) à leur retour dans leurs pays respectifs, d’un pays à décoloniser, champion de consommation, comme la Martinique.
Ainsi que l’avait confié un journaliste russe invité en Martinique par un grand parti anticolonialiste, elles pourraient se dire que si tous les pays à décoloniser étaient comme la Martinique, elles signeraient tout de suite pour leur maintien en l’état. En effet, le visiteur russe (URSS) sortait de table. Iil venait de profiter d’agapes inattendues à Clairière de la part des dignitaires du parti. Après avoir vu ce qu’il avait vu du pays, cette débauche de table avait achevé de le déconcerter. Celui qui le reconduisait en fin d’après-midi à son hôtel crut devoir faire un crochet à Volga Plage pour lui montrer un peu de la misère du pays, histoire de remettre l’opinion de son hôte dans le bon sens. Je vois bien, dit-il sur le ton de l’énervement, que vous voulez me montrer un quartier misérable. En passant devant l’épicerie du coin, il demanda au chauffeur d’arrêter la voiture, puis tous deux s’y rendirent. Voyez ces marchandises, dit-il, qu’il désigna une après une (une bonne dizaine) à son interlocuteur. En Russie, on ne peut les trouver que dans des magasins réservés aux riches. Et encore !
Le nommé Kémi SEBA a dû s’interroger également lorsqu’il a mis les pieds sur le sol martiniquais, mais il a sans doute préféré s’arrêter au discours de rupture qui lui a été servi. Et il prit la tête de l’équipée qui s’est rendue à Jenippa. Il a pu s’étonner que l’expédition ait été annoncée publiquement et qu’il ait pu quand même pénétrer dans les lieux sans en être empêché par la police coloniale. Serait-on moins mal traité en colonie française qu’en France ?
Ainsi donc, les beaux esprits bourgeois ont des pudeurs, qui portent pourtant leur anticolonialisme fièrement à la boutonnière. Ils se disent choqués par l’intervention desanticolonialistes d’en bas et de la « leçon » d’un étranger. Eux qui estiment que pawol en bouch pa chag croient pouvoir éternellement inciter les gens à l’intolérance et la haine à condition que jamais ces derniers en viennent à donner un contenu à ce discours de rupture. Ils s’aperçoivent que tous les militants ne sont pas ouverts à leurs finasseries de salon. Et que certains à qui ils distillent leurs discours se disent de temps en temps : « Ki tan nou ka pran yo ? » C’est ainsi que petit à petit, dans le silence des clercs, une décapitation de statue par-ci, une équipée à Jenippa par-là, un brûlage de drapeau plus loin, ceux qui paraissent aujourd’hui excités et disponibles, mais qui sont en fait attentifs au discours ambiant, donnent un certain contenu à la bonne parole qu’on leur sert. L’inertie régalienne leur étant garantie, ils avancent comme un couteau dans du beurre. Peut-être jusqu’à l’irréparable et le non retour.
Ainsi donc, davantage que les visites des demoiselles MALCOLM’X et GUEVARRA, mieux que le journaliste russe, en recherche d’un colonialisme à défaire, Kémi SEBA aura servi la cause indépendantiste martiniquaise. Qu’importe que la chose paraisse absurde et donne des frayeurs aux anticolonialistes bourgeois.
Fort-de-France, le 2 mai 2018
Yves-Léopold Monthieux
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