À la guerre comme à la guerre
On assiste toujours avec curiosité à un spectacle venu de la lointaine Réunion (deux océans à franchir, soit au bas mot une vingtaine d’heures d’avions, sans compter l’escale évidemment) parce que, en l’occurrence, les similitudes superficielles (le passé colonial et l’actuelle dépendance, l’usage du créole) n’empêchent pas une différence culturelle forte avec nos Antilles, laquelle se remarque, au théâtre, aussi bien dans les thèmes retenus que dans la manière dont ils sont abordés.
Contrairement aux Antillais, les Réunionnais ne sont pas mal (ou sont moins mal) dans la France. À preuve leur refus de toute consultation sur l’abandon éventuel du département et de la région au profit d’une collectivité unique. Impossible également de ne pas remarquer qu’ils sont moins obsédés que nous par le passé esclavagiste ou par l’inceste, sujets récurrents sous nos cieux.
Victoire Magloire dit Waro est labellisé « mission du centenaire », ce qui signifie que la pièce s’est inscrite dans le cadre de la commémoration du centenaire de la première guerre mondiale. Les difficultés qui pèsent sur les productions théâtrales étant ce que l’on sait, il ne faut pas être grand clerc pour deviner que le texte (signé Sully Andoche et Barbara Robert) a été écrit précisément dans la perspective du centenaire. Mais seul le résultat compte et l’on ne peut qu’être séduit par la manière dont est agencé ce récit à plusieurs voix (portées par une comédienne et un comédien). Récit au sens où il ne faut pas chercher une intrigue dans cette pièce mais simplement une série de scènes centrées sur engagé volontaire, en 14, qui traversera presque toute la guerre avant de mourir dans une fin programmée d’avance.
Car s’il y a une critique à soulever c’est bien celle qui concerne le message qui manque par trop d’originalité. Quand on vous présente un paysan-de-couleur-analphabète-et-naïf qui s’engage volontairement au début du conflit par amour pour cette « mère patrie » qu’est la France à ses yeux (de colonisé-aliéné), on sait d’avance qu’il déchantera assez vite et qu’il finira par mourir, victime cette fois involontaire d’une guerre absurde. Plus politiquement correct que ça … tu meurs (si l’on ose dire !)
Il faut passer cependant sur ce navrant conformisme. La pièce, à l’évidence, n’est pas destinée aux esprits trop critiques, plutôt aux publics scolaires auxquels il paraît souhaitable d’asséner quelques vérités premières (du genre « Honte à la colonisation », « À bas la guerre ») ou à des adultes qui ne cherchent pas minuit à quatorze heure. Ainsi les auteurs tirent-ils un fil qui se déroulera inexorablement jusqu’à la fin. Une fois admises ses conventions, il reste un texte bien ficelé mêlant adroitement le créole au français, l’enchaînement sans temps mort de scènes qui mobilisent (!) des personnages contrastés mais tous hauts en couleur, servis par deux comédiens talentueux (Didier Ibao et Valérie Cros), enfin une mise en scène (par les mêmes) volontairement pauvre (afin de pouvoir jouer dans des lieux très divers) mais inventive. Une mention particulière aux costumes à transformation (de Juliette Adam) qui s’adaptent en trois-cinq-sept à chaque nouveau personnage et dont l’esthétique pauvre (à nouveau) est en parfaite adéquation avec le climat de la pièce.
Bref, une fois accepté son manque d’audace intellectuelle, Victoire Magloire dit Waro est un spectacle très réussi qui n’a pas fait pour rien jusque chez nous le voyage depuis l’Océan indien.