— Par Roland Sabra —
Le suspense n’ a pas duré longtemps. Des sept films en compétition trois se sont vite détachés d’un ensemble de bonne tenue, « Gamin 23 : enfances perdues au Brésil », « Maman Colonelle » et « Whose Streets ? » Ces deux derniers ont fini la course en tête dans deux des trois jurys. Le film de Sabaah Foyalan, avec plus des 2/3 des votes chez les spectateurs remporte haut la main le Prix du Public. Les lycéens qui suivent l’option cinéma au lycée de Bellevue et qui composaient le jury du Prix Jeunesse se sont eux aussi prononcés pour « Whose streets ? ». Ce Prix est celui qui touche le plus la réalisatrice dont le film met en évidence un changement dans la composition générationnelle du mouvement de lutte dans lequel elle revendique et assume une place pleine et entière. Deux couronnes pour « Whose streets? » Dès lors il semble qu’il ait été impossible aux « professionnels » de couronner une troisième fois le même film. Ils ont pourtant hésité et dans un ultime rush ont décerné le Prix Spécial du Jury à « Maman Colonelle ». Ce n’est pas une victoire par défaut. Le film de Dieudo Hamadi par l’histoire racontée et par la façon dont elle l’est, méritait largement d’être récompensé.
Honorine Munyole travaille au sein de la police congolaise et précisément depuis 15 ans à Bukawu dans l’est du pays près de frontière rawandaise, à la tête de la brigade de lutte contre les violences faites aux femmes, où elle apprend la boxe aux femmes qui ont été violées. De Major elle devient Colonelle pour une mutation à Kinsagani beaucoup plus au nord. Un déplacement qui sans être une rétrogradation déguisée n’est pas une pleine reconnaissance de son travail contre les violeurs et sa défense des enfants maltraités. Les conditions de travail et de vie sont plus déplorables encore, et depuis la réalisation du film elle a de nouveau été mutée plus au nord encore à Wamba. Toujours plus loin de la capitale Kinshasa. Elle est désormais sans voiture et travaille en plein air sans que des locaux lui soient vraiment affectés.
La Colonelle Honorine Munyole est une héroïne « bigger than life » bien réelle, ancrée dans un quotidien d’une dureté, d’une violence scabreuse qui dépasse la fiction. Elle va à la rencontre de femmes, de filles, de fillettes violées devant les maris et pères qui vont être assassinés. Elle va au devant de mortes-vivantes martyrisées par leurs belle-mères. Elle accueille les gamins et gamines accusés de sorcellerie et mutilés par leur proches. Devant la carence, la faillite des institutions pour ne pas dire la disparition pure et simple de l’État elle fait face . Seule. Et c’est une des critiques, sous-jacentes, implicites, faites en mode mineur du film à l’égard des restes du pouvoir politique au Congo. Quand, bien au-delà de ses prérogatives officielles, elle organise une quête pour réunir des fonds au profit des femmes qu’elle prend en charge, les habitants sollicités posent les questions qui fâchent : Que fait le gouvernement ? Pourquoi nous abondonne-t-il?
Face à un tel désastre économique et sanitaire, les solidarités réelles et concrètes, se trouvent fragilisées. Ainsi le statut de victime du groupe de femmes violentées se trouve contesté par d’autres, en l’occurence des handicapés physiques de la guerre des Sx Jours en 2000 au cours de laquelle deux armées étrangères – celles du Rwanda et de l’Ouganda – s’étaient affrontées à Kisangani. Les femmes violées seraient des simulatrices. La-bas comme ailleurs… Et c’est ce groupe de femmes pris en charge par Maman Colonelle qui va être le fil conducteur du film. Enfermées dans le déni des horreurs qu’elles ont subies, elles sont sans paroles, sans un mot, mutiques, mortes-vivantes. Et le réalisateur qui toujours filme Maman Colonelle dans ses œuvres sans jamais qu’elle ne s’adresse à la caméra, attention particulièrement appréciée par le Jury du Festival, construit une situation qui paraît sans issue. Mais l’horreur est sans limites et l’irruption d’un réel à peine représentable installe tout à coup une dramaturgie qui n’a rien de fictionnelle. La découverte d’une dizaine de gamins, torturés au fond d’une cabane par les sorciers et sorcières déjà évoqués. Abandonnés par leurs familles ils sont en déshérence. Le génie de la Colonelle Honorine Munyole va consister à conduire ces enfants auprès du groupe de femmes qui, confrontées, à des douleurs qu’elles estiment plus grandes que les leurs, vont entrer, comme par une carthasis, dans un processus de « de-zombification ».
Loin d’être un happy-end, qui relèverait d’une pure indécence, les dernières images introduisent une chute de la tension dramatique qui parcourt le film de bout en bout.
Maman Colonelle n’en n’est pas à sa première récompense dans un festival et celle attribuée, ici en Martinique, n’est que justice. Elle est à la hauteur d’un festival qui connaît un succès populaire grandissant et largement mérité.
Fort-de-France, le 23/04/2018
R.S.