Par Selim Lander – La compagnie Courtes Lignes est de retour et tous les amateurs martiniquais de comédies théâtrales de se réjouir. Chaque année au printemps, on attend en effet désormais comme un dû le nouveau spectacle de cette compagnie guadeloupéenne, invitée dans le cadre du festival de théâtre amateur de Fort-de-France. On peut se demander d’ailleurs si ladite compagnie a bien sa place dans un tel festival, tant ses principaux comédiens s’avèrent au fil des ans de plus en plus professionnels.
Il s’agit de théâtre de boulevard, les arguments sont en général des plus ténus, le spectacle ne vaut donc pas par la profondeur des réflexions qu’il suscite chez le spectateur, tout repose sur la capacité des comédiens à nous faire rire à partir des situations et des bons mots concoctés par l’auteur. Moins que tout autre théâtre, le comique ne supporte la médiocrité. Le succès de Courtes Lignes tient donc avant tout au jeu de ses comédiens.
L’argument de la pièce vaut ce qu’il vaut : six patients atteints de troubles obsessionnels compulsifs sont réunis dans la salle d’attente d’un médecin qui n’arrivera jamais (on apprendra à la fin que le médecin était en réalité l’un des patients !). Evidemment, plus que d’autres misères humaines, les « TOC » sont susceptibles de faire rire. Encore faut-il savoir insuffler de la bonne humeur dans des individus souffrants et il faut reconnaître que l’auteur y parvient. Ses personnages ont le bon goût de prendre leur mal du bon côté et le spectateur peut donc rire de bon cœur.
La liste de leurs maux aurait pourtant de quoi faire frémir. Le personnage principal (Vincent, « 20 100 », interprété par David Couchet) souffre à la fois d’arithmomanie et de syllogomanie, c’est-à-dire d’une part qu’il ne peut s’empêcher de compter sans arrêt tout et n’importe quoi et qu’il manifeste d’autre part un besoin compulsif d’accumuler. Le médecin (Claude-Georges Grimonprez, également metteur en scène du spectacle) est coprolalique, il éructe malgré lui des insanités. Un jeune homme est affecté par la phobie des lignes qu’il ne saurait piétiner sous aucun prétexte, ce qui l’oblige à d’étranges contorsions ; il a par ailleurs la manie de la symétrie et du rangement (Fabien Minatchy). Quant aux patientes, elles ne sont pas mieux loties. Syndrome de vérification : des robinets, des serrures, etc. (Anne-Marie Clerc) ; nosophobie, soit la crainte panique des microbes et des maladies qui oblige à se laver les mains sans arrêt, à désinfecter sa chaise ou la poignée de son sac, etc. (Carole Raboteur) ; paliphrasie enfin qui oblige la malheureuse atteinte par cette maladie de répéter tout ce qu’elle dit (Christelle Samson).
Les six patients qui ne quitteront pas un instant la scène, à part les très fréquentes mais très brèves disparitions de la nosophobique partie se laver les mains, se renvoient constamment sinon la balle du moins la parole, encouragés, excités, sinon agressés qu’ils sont par Vincent, le meneur de jeu. Tout cela est drôle est bien enlevé. Surtout la première moitié de la pièce car celle-ci devient plus laborieuse lorsque l’auteur entreprend de passer en revue systématiquement chaque patient. Il s’agit d’abord d’effectuer sur chacun une thérapie de groupe, laquelle s’avère à chaque fois un échec, sauf que la pièce se termine sur un réexamen de tous les cas, lequel permet de constater que chacun, sous la pression d’une circonstance exceptionnelle, a pu oublier un instant son syndrome et qu’il ne devrait donc pas considérer son cas comme désespéré.
Grâce à l’entrain et au talent des comédiens, au premier rang desquels David Couchet, on est néanmoins conduit jusqu’à la fin dans la bonne humeur et la salle ne se montre pas avare de rires. On est venu pour s’amuser. Une fois de plus Courtes Lignes aura rempli son contrat.
Du 15 au 18 mai 2013 au Théâtre municipal, Fort-de-France.