— Par Selim Lander —
Une fois de plus les cinéphiles seront comblés par l’abondance et (souvent) la qualité des films proposés dans les cadre des « Rencontres Cinémas Martinique » concoctées par Steve Zebina. Comme à l’accoutumé des réalisateurs seront présents avec lesquels il sera possible de dialoguer. Devant l’impossibilité pour un critique amateur (lequel, contrairement au critique professionnel, n’est pas mobilisé à 100% pour le festival) de rendre compte d’un sous-ensemble quelque peu significatif d’une sélection qui compte près de quatre-vingt films, nous signalerons simplement quelques films, au gré de notre curiosité et de nos disponibilités. Heureusement, Madinin’Art bénéficie des services d’autres critiques, parmi lesquels Jeanine Bailly qui participe au jury de la compétition dans la catégorie « Documentaires », signe de la reconnaissance de Madinin’art comme médium culturel incontournable en Martinique. Une reconnaissance dont Roland Sabra, le directeur et fondateur du site, peut se glorifier.
La soirée d’ouverture, le 16 mars, a proposé après les discours d’usage un spectacle original aux deux sens du terme. Original au sens d’inusité, puisque deux films muets étaient accompagnés par un ensemble instrumental (deux violons, alto, violoncelle, contrebasse, tambour en plus du piano utilisé au temps du cinéma muet). Original ensuite au sens où la musique de Manuel Césaire avait été écrite pour la circonstance. On imagine le travail préparatoire à ce spectacle composite tant la musique paraissait en adéquation avec les images.
Le premier film, A Week de Buster Keaton, n’est pas le plus connu de ce réalisateur. En cadeau de mariage, un jeune couple a reçu une maison en kit. On se doute que la construction (qui prendra une semaine – d’où le titre) par les soins du jeune marié (interprété par Keaton comme de juste) dont la maladresse n’a d’égale que la fantaisie, aboutira à un résultat peu conforme aux règles de l’architecture et sera la source de nombreux gags. Si ce film n’est pas le meilleur Keaton, il se regarde avec ce plaisir teinté de nostalgie que procurent les « grands » du cinéma muet aux spectateurs ayant atteint un certain âge (ou un âge certain).
Ce film était suivi par Max et Jane veulent faire du théâtre de Max Linder, qui nous a paru bien plus drôle : l’histoire de deux jeunes gens que l’on veut marier contre leur gré, qui font chacun tout ce qu’ils peuvent pour s’enlaidir (voir la photo ci-dessus) et dégoûter la partie promise, et qui finissent par tomber dans les bras l’un de l’autre. Mais le film ne s’arrête pas là, la véritable fin ménage une surprise pour ceux qui n’auraient pas vu le titre (comme ce fut mon cas).
Jose Maria Cabral, cinéaste dominicain, n’est pas un inconnu. Carpinteros, son dernier film, est particulièrement abouti. Le scénario, la direction d’acteurs, la gestion de nombreux figurants, le choix des quelques lieux du tournage, tout contribue à la réussite de cette histoire d’amour entre un prisonnier et une prisonnière. « Carpinteros » : piverts en français. Pourquoi ce titre ? Tel le pivert qui s’accroche à son tronc d’arbre, les prisonniers mâles s’entretiennent avec leurs amoureuses en s’accrochant aux barreaux placés en haut d’une coursive qui donne sur la terrain de sport de la prison des femmes. Ils communiquent alors par gestes en utilisant un vocabulaire simple mais suffisant. Or deux hommes – un bon et un (très) méchant – convoitent la même prisonnière. Happy end peu probable… La peinture des trois principaux caractères est fine et précise. La comédienne qui interprète la jeune femme, toute en élans de colère et de tendresse, est remarquable, de même que le comédien dans le rôle du bon, qui semble toujours un peu en retrait par rapport à la réalité.
Un premier film, québécois, tourné à Québec même, Ailleurs de Samuel Matteau, a séduit un public… qui aurait pu être plus nombreux. La programmation de ce film en dernière minute, en remplacement d’un autre film et en horaire décalé explique sans doute pourquoi la salle a paru bien vide. Il serait dommage qu’il n’y ait pas davantage de spectateurs lors de la séance régulièrement inscrite sur le programme. Surtout que le réalisateur, qui a fait le déplacement depuis le Canada, parle fort intelligemment de son film, entre le conte (avec un petit prince, une sorte de Capitaine Crochet et un redoutable boiteux pourvu d’une béquille qu’il manie comme une arme) et le portrait des deux personnages principaux, Samu et TV (initiales de Thierry Vézina), adolescents à la dérive et rejetons de la classe moyenne supérieure. Le premier à l’évidence mal dans sa peau, cachant mal son agressivité, le deuxième a priori plus équilibré mais qui se laisse influencer par son ami, lequel rêve de partir « ailleurs » (en l’occurrence la Californie). L’un, comme on le découvrira par la suite, qui aime les garçons, et l’autre qui aime les filles. Très vite, moitié par accident, moitié volontairement, Samu tue son père d’un coup de poignard[i]. Il s’enfuit suivi par TV qui a assisté au crime depuis l’extérieur de la maison. Partiront-ils en Californie ? Sans aucun argent, cela paraît difficile, d’autant qu’ils sont recherchés par la police. Ils doivent se cacher et trouvent un refuge dans une « grotte » urbaine, en fait un vaste sous-terrain creusé dans la falaise qui sépare la haute de la basse ville de Québec. La grotte est habitée par quelques jeunes marginaux qui l’ont installée avec des objets récupérés (ou volés) ici ou là. Compromis dans le vol d’un sachet de « poudre », les deux fugitifs ne pourront pas rester longtemps dans cet abri, leurs aventures continueront jusqu’à ce qu’un nouvel accident tragique les conduise à reconsidérer leur avenir, avec une inversion des rôles par rapport au début du film mais, chut !, l’on ne saurait en révéler davantage.
Ce qu’il faut dire, par contre, c’est à quel point ce film est une réussite esthétique. Qu’il fasse jour ou qu’il fasse nuit, c’est toujours la même lumière tamisée, lumière et atmosphère d’hiver, même si la neige n’est pas encore tombée. Les vues sur la ville presque toujours déserte et ses bas-fonds, les ruelles de la basse ville et les immeubles modernes du gouvernement du Québec, la gare, les bords du Saint-Laurent, tout cela est filmé avec un sens très juste du cadrage, de même que les images des deux protagonistes, souvent en gros plan. L’aménagement de la grotte et les vêtements de ses habitants peuvent faire penser à certains films post-apocalypse, bien que ce ne fut pas, de son propre aveu, l’intention de l’auteur – dont les références avouées sont plutôt David Lynch et Krzysztof Kieslowski.
Rencontre Cinéma Martinique, du 16 au 24 mars 2018
[i] Français québécois vs français de France : de même que TV, dans le film, n’a rien à voir avec notre télévision, Samu, tout au contraire de notre SAMU, ne porte assistance à personne.