La centralisation, maladie infantile de l’éducation nationale…

Par Roland Tell —

La centralisation du système éducatif français est un facteur capital de résistance au changement, un obstacle majeur pour l’innovation. Elle empêche de tenter, dans des secteurs limités (exemple : des secteurs géographiques) des expériences en vraie grandeur. La centralisation empêche la juxtaposition de sous-systèmes différents et horizontaux. Les sous-systèmes, dont il est question ici, sont des sous-systèmes, que l’on pourrait qualifier de régionaux, de territoriaux, comme ici à la Martinique. La centralisation interdit ces sous-systèmes ! Par exemple, elle ne permet pas que l’organisation de l’enseignement soit différente d’une région à l’autre, comme c’est le cas dans certains pays. En empêchant la constitution de ces sous-systèmes, elle empêche la réalisation d’expériences en vraie grandeur, c’est-à-dire d’expériences permettant de voir les effets d’une innovation pédagogique sur la société, et de voir ce qui peut être réellement généralisé.

La centralisation est un obstacle à l’innovation, parce que la moindre tentative d’innovation doit être multipliée par le nombre de professeurs, en faisant des paris, à la fois pédagogiques et budgétaires, qui ont des dimensions vertigineuses. Une centralisation moindre, et une plus grande souplesse locale, liée à des possibilités d’initiative, permettraient l’innovation, parce que les variables de ces paris seraient immédiatement visibles. Au contraire, dans le cadre national de la centralisation, il faut vraiment que toutes les considérations, tous les arguments, soient accumulés sans réserve, et que d’autre part des ressources massives soient disponibles, pour que, brusquement, après des jours de grêve, de conflit, un virage se prenne. Mais ce virage demeure aventureux, parce que la manipulation des variables n’a jamais été affinée suffisamment, et parce que, d’autre part, les ressources disponibles ne peuvent pas être d’emblée dégagées, au niveau d’une mutation fondamentale.
La centralisation amène forcément un fonctionnement par crises, parce qu’il faut accumuler les motifs jusqu’à la « catastrophe », et parce que, lorsque la mutation est entreprise, il faut avoir miraculeusement l’ensemble des moyens démultipliés pour la réaliser. Une plus grande autonomie locale, en revanche, permet, à moindres frais, d’avoir des certitudes tant pédagogiques que financiers, et amène une certaine ouverture à l’expérimentation. La centralisation interdit donc toutes expériences en vraie grandeur, dont il serait possible de tirer les conditions de la généralisation du changement. D’autre part, elle interdit la formation de circuits courts. C’est à dire qu’elle ne permet pas les articulations réciproques entre les initiatives, venues de la base, et les responsabilités de l’administration. Dans ce système centralisé, il faut toujours recourir au Ministère ! C’est là un inconvénient majeur pour l’innovation. Dans un circuit court pour innover, il suffit de trouver des gens, suffisamment proches les uns des autres, suffisamment proches d’un milieu local, capables de prendre des décisions et des libertés, par rapport à des règlements et des textes qui, ayant été conçus à Paris, sont très généraux.

La centralisation, en empêchant la formation de circuits courts, empêche l’adaptation réciproque et rapide de l’administration, des professeurs, des élèves et de leurs parents, devant les problèmes locaux réels. Elle ne laisse pas vivre parallèlement des unités fonctionnelles, dont la comparaison fournirait des renseignements plus précis, quant à l’ajustement des moyens aux fins. Autrement dit, la centralisation est un facteur, soit d’immobilisme, soit de crise. Le système centralisé est condamné à ne pas bouger, et quand l’accumulation des raisons de le faire bouger est devenue telle, qu’il faille absolument qu’il bouge à ce moment là, il se trouve en période de crise. Celle-ci amène alors un certain nombre de mesures, qui ne peuvent pas être testées, parce qu’elles sont d’emblée démultipliées par la toute-puissance de l’appareil. Il n’y a pas de feed-back, ni d’ajustement facile, dans un système centralisé !

Comment, dans ces conditions, le système éducatif français, commandé par la centralisation, est-il arrivé à se dégager de l’immobilisme ? C’est parce qu’il a reçu des chocs et des défis, venant de l’extérieur. C’est ce qui a rendu sa transformation possible, car un système éducatif ne saurait se transformer par sa propre conscience interne ! Quels sont ces défis ?

– Le défi lancé par la société de croissance, où il y a une accélération de la société globale vers une société scientifico-technique ;

– Le défi lancé par les moyens modernes d’information et de communication de masse ;

– Le défi de l’exigence totale et inconditionnelle de démocratisation ;

– Le choc démographique ;

– Le défi de la nouvelle jeunesse .

L’importance et la profondeur de la mutation doivent être à la mesure des défis mentionnés. Il faut donc répondre à ces chocs et à ces défis, et tout cela, sans préjudice de tout ce qu’impliquent les technologies de l’éducation, et les impératifs budgétaires. Le drame dans le système éducatif, c’est que les défis sont généralement extérieurs, alors qu’il importe qu’ils soient ressentis de l’intérieur, qu’ils soient réexprimés par le système éducatif lui-même, qu’ils soient pris en charge par celui-ci, articulés les uns aux autres ! Tout ceci, afin qu’ils constituent de nouveaux éléments doctrinaux, qui devraient être capables de former un système véritablement organisé, susceptible d’englober l’ensemble des problèmes. Ce passage est nécessaire. Il doit aboutir, non pas à une construction d’institutions, mais à une unité organique, douée de régulations internes, et de rétroactions externes. Ces organismes de régulation sont indispensables, au niveau académique, pour les accommodations et les assimilations, qui s’avèrent nécessaires, par rapport à la région ou à la collectivité ! Il faut que le système éducatif soit partout, à la fois la source du progrès, et celle de la conscience critique. Cela revient à dire qu’il faut qu’il fasse lui-même sa propre critique. C’est à cette condition, qu’il y aura une philosophie des institutions éducatives. Pour l’heure, il y a des rapports de force, des arbitrages. Certes, cela sera toujours nécessaire, mais à partir d’une thématique réellement commune, alors qu’on est, en Mars 2018, à la thématique des revendications. Chaque structure administrative souffre de se voir arracher tel pan de pouvoir, et essaie d’en conquérir un autre ! N’est-ce pas là la maladie infantile de toutes les organisations ?

Il reste donc à promouvoir cette philosophie des institutions éducatives, concernant à la fois l’autorité politique et l’opinion publique en général. C’est donc tout un ensemble ordonné de transformations du système éducatif, qui doit avoir en vue la philosophie des institutions éducatives. Autrement dit, il faut passer maintenant de la simple cohérence doctrinale, aux déterminations sur le plan opérationnel. L’administration centrale doit évoluer vers une décentralisation et une déconcentration, qui renvoient, aux responsables sur le terrain, la résolution des problèmes de gestion détaillée et d’aménagement.

ROLAND TELL