— Par Térez Léotin —
Si je pense que le Martiniquais se complait dans une espèce de noirisme, – ici je pense à ceux qui sous prétexte qu’effectivement l’espèce humaine vient d’Afrique, ressassent que le Noir est à l’origine de toutes les créations, comme si celui-ci doit mériter sa place sous le soleil. Si on veut avec raison réhabiliter le Noir, si on veut du reste, changer sans doute le regard, à trop en faire, on tombe dans un racisme à l’envers aussi absurde que l’affirmation illusoire de la « supériorité » du « Blanc »
Autre forme de noirisme, l’obsession du martiniquais par alliance, Serge Bilé, sur le sort des Noirs, au point qu’il peut donner à douter de la sincérité de ses écrits. Cela semble être vraiment « son » affaire, pour ne pas dire son bon filon. Il ne lui reste plus qu’à écrire : « Les cheveux blancs sur la tête du noir » ou « L’homme noir qui avait des chaussettes blanches », ou encore « Les lunettes noires du patron blanc », peut-être les a-t-il en chantier.
Cela étant dit je ne crois surtout pas, pour autant qu’il suffit de placer une « blanche colombe » sur une proue noire, violette ou rouge pour croire, ni faire accroire que l’on effacera toutes les humiliations de l’esclavage, et en sortir justement « blanchi ». Pour moi les plaies sont encore bien ancrées dans nos mentalités où la brulure du fer de la fleur de lys se montre intense, et se fait ressentir. Je l’insupporte encore. Il ne faut jamais oublier que des hommes ont fait d’autres hommes devenir leur bête, et ce à plusieurs moments de l’Histoire. Ce n’est pas tenir une rancune tenace c’est être réaliste, et il nous faut vivre avec.
Voir l’esclavage avec ironie n’est-ce pas le comble d’un manque de considération pour nos ancêtres, pour nous-mêmes, pour nos enfants, notre descendance, pour ces personnes, ancêtres ou non, qui ont connu l’avilissement ? Non on ne peut rire de tout.
Il faut respecter la souffrance d’un peuple. Nul ne banalise la Résistance française. Nul ne prend la Shoah pour objet de dérision, pour motif carnavalesque. Il ne faut pas l’envisager non plus. Il m’est très difficile de me remémorer le fait que nous n’étions même pas des êtres humains, qu’un code « moral » le signifiait, ce qui fait que de nos jours le nègre se croit encore inférieur, qu’il singe le blanc qu’il croit son supérieur, qui le méprise, qui a été dédommagé à la fin de l’esclavage, qui a conquis et s’est approprié des terres, les meilleures, en s’y plaçant, qui s’est octroyé des pays où il y avait des peuples, qu’il a colonisés et colonise encore, au mépris de leur Histoire, de leur passé, qui pensent que « l’Afrique n’appartient à personne » (confer V. Hugo).
Pourquoi l’Afrique est-elle exsangue ? Qui a intérêt à ce que ce continent aux ressources minières incommensurables le soit pourtant ? Penserait-on encore qu’il y a des sous-hommes ? Pourquoi n’y a-t-il jamais eu de pape noir ? Dieu ne reconnaitrait-il pas les siens à travers les personnes noires ? Pourquoi dit-on toujours les « métropolitains » ? Tout simplement, serions-nous colonie ? Où se trouve le pays qui s’appelle « Métropole » ? Un français d’Auxerre, qui est Auxerrois pourquoi devient-il métropolitain, dès qu’il a franchit l’océan ? Jusqu’à nouvel ordre, est-il vrai qu’il y a les français de souche « les vrais » et ceux des colonies plus singulièrement appelés « bamboula » par les racistes. En France « hexagonal » on dit bien un Picard, un Auvergnat, pourquoi lorsque l’on dit un Martiniquais vous êtes taxé d’indépendantisme par certains ?
Nous sommes en l’an 2018, il y a encore les descendants d’esclavagistes d’un bord, et les descendants des esclavagisés de l’autre. Non, tout cela est trop complexe, trop dur à avaler, à intégrer, et j’affirme qu’il ne suffit pas de s’approprier ni non plus d’utiliser une « blanche colombe » trop dérisoire à mon avis, pour penser s’imbiber de la blancheur immaculée de ce symbole, se croire « propre » et ne pas être un raciste, même inconscient.
Je ne sais rien de l’association qui a voulu faire sa sortie, mais c’est de n’avoir pas apprécié d’entendre un de ses membres affirmer : « qu’il faut voir l’esclavage avec humour ! » que je dis NON. Je crois bêtement aux multiples pouvoirs des mots. C’est un problème trop sérieux, et banaliser l’esclavage c’est soit vouloir l’enterrer et le faire oublier dans un « charnier » comme dirait l’autre, et repartir à zéro, en cherchant ainsi inconsciemment aussi, à le faire renaitre, et quand on voit certaines attitudes hégémoniques, il faut toujours s’interroger. Du questionnement pourra poindre même une toute petite lumière.
Térèz LÉOTIN