— Par Gilles Candar Historien, président de la Société d’études jaurésiennes —
La lettre de Zola au président de la République Félix Faure, publiée par l’Aurore le 13 janvier 1898, appartient à l’histoire de la presse, du combat pour la justice et la vérité, de l’émancipation de la raison face à l’autorité et au pouvoir.
Le contexte peut être rappelé à grands traits : pour avoir transmis des documents intéressant la défense nationale à une puissance étrangère, le capitaine Dreyfus est condamné, le 22 décembre 1894, par un conseil de guerre à la déportation à vie dans une enceinte fortifiée. Il subit sa peine à l’île du Diable, proche du bagne de Cayenne.
Dreyfus est innocent, il le clame, mais pourquoi le croire ? Seule sa famille et quelques proches ont confiance. Même les socialistes s’indignent le plus souvent de la mansuétude du verdict, qui a évité la peine de mort au motif que le crime d’espionnage relevait des actes politiques exclus de la peine capitale depuis 1848. Ils font remarquer que l’accusé est d’origine bourgeoise et officier alors que la justice se montre impitoyable envers les accusés d’origine populaire. Un seul d’entre eux, Maurice Charnay, se pose la question : « S’il disait vrai ? » dans le Parti ouvrier du 7-8 janvier 1895.
Ce doute est confirmé par diverses enquêtes : celle du journaliste anarchiste Bernard Lazare, celle du nouveau chef du service de renseignements, le colonel Picquart, pourtant dépourvu de sentiments bienveillants envers les juifs. L’affaire devient affaire d’État car l’état-major et le gouvernement refusent toute remise en question. Un amas de fausses preuves est fabriqué, le véritable coupable, Esterhazy, protégé et toutes les tentatives légales pour obtenir une révision sont sabotées, leurs auteurs discrédités et menacés. La grande majorité des politiques et de la presse fait bloc derrière l’état-major, bien plus populaire que cet officier juif condamné et ses soutiens jugés douteux.
Zola, écrivain à succès, bon républicain jusque-là, sans plus, convaincu par les premières enquêtes, mène campagne pour la révision du procès. Devant l’échec généralisé des tentatives discrètes et régulières, il décide de jouer de la provocation et du scandale. Il écrit une Lettre au président de la République dénonçant la machination et mettant en cause les plus hauts responsables militaires. Il vise le procès public afin d’obtenir une discussion sur la culpabilité ou non de Dreyfus. Son enquête implacable va crescendo, avec un style clair, direct, jouant de l’anaphore par la répétition de son « j’accuse », qui détaille l’affaire et donne tous les noms. Quelques erreurs de détail ne changent rien au fond, ni à la stratégie mise en œuvre. Clemenceau lui trouve un titre éloquent pour son journal, l’Aurore : « J’accuse »…
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