Un théâtre baroque
Par Selim Lander
Mise en bouche du dernier texte de Faubert Bolivar dans la salle de la Véranda à Tropiques-Atrium. Six comédiens, trois musiciens, pour une pièce ambitieuse dont la seule lecture (après coupures !) dure plus de deux heures. L’histoire est celle de Jacques Dessalines, libérateur d’Haïti, qui sera assassiné peu après avoir été reconnu empereur. Sorti du peuple, brut de décoffrage en quelque sorte, il fait tache au milieu de l’establishment de couleur. Jalousie, rivalité, intrigues, mulâtres contre bourgeoisie noire, général Pétion contre général Christophe. Sans compter que Célimène, la fille de Dessalines, est amoureuse d’un officier de Pétion, ce même Pétion auquel, dans le but de neutraliser un rival dangereux, l’empereur a justement promis Célimène. Le reste est histoire. Dessalines, tout héros qu’il soit, finira assassiné.
L’intérêt principal de la pièce de Bolivar n’est évidemment pas dans ce rappel historique en tant que tel mais dans sa théâtralisation. Les trois protagonistes principaux – les trois personnages masculins déjà cités – se différencient d’abord par leur manière particulière de s’exprimer, Dessalines n’hésitant pas à inventer quand un mot français lui fait défaut. De ces personnages très typés, c’est Dessalines qui retient le plus l’attention non seulement à cause de sa faconde et parce qu’il est au centre de l’intrigue et parce qu’il occupe presque constamment le plateau, mais encore parce que, en dépit de sa cruauté, il est capable de nous émouvoir. Quant à l’intrigue, même si sa conclusion est connue, elle prend des chemins détournés quand elle nous éloigne de la cour impériale, sur la route des forts en construction, dans une salle à manger, une chambre à coucher, etc.
Pour l’occasion, José Exélis à fait appel à des comédiens aguerris qui sont souvent allés au-delà de la simple lecture et nous ont donné une première idée – certes insuffisante – de ce que pourrait donner le texte une fois mis en scène. Le choix de Ruddy Sylaire pour dire les mots de Dessalines s’est imposé pour ainsi dire naturellement et l’on aimerait qu’il puisse jouer réellement ce personnage. Le reste de la distribution est apparu également très logique : Eric Delor interprétait Pétion (il mérite une mention spéciale pour les moments où, laissant libre cours à son talent, il incarnait déjà son personnage hautain et sarcastique), Joël Jernidier interprétait Christophe, Daniely Francisque Claire, l’épouse de Dessalines, Jann Beaudry Célimène. Patrice Le Namouric qui complétait la distribution était chargé d’un personnage qui n’est pas nommé (« X ») mais qui joue néanmoins un rôle important, à l’instar des confidents dans les tragédies classiques, en avertissant l’empereur des complots qui se trament tout en essayant de lui faire adopter une ligne de conduite plus raisonnable.
F. Bolivar est déjà l’auteur de plusieurs pièces de théâtre qui s’inscrivent dans une veine réaliste fantastique hantée par les morts et les divinités du panthéon vaudou. C’est encore le cas ici où les personnages féminins apparaissent possédés par les esprits. Ce théâtre que l’on peut également dire baroque, qui introduit la musique et la danse dans des cérémonies ésotériques, fait preuve d’une originalité puissante. On attend avec impatience de voir comment ses textes supporteront l’épreuve du plateau.