La mort de Manno Charlemagne

Joseph Emmanuel Charlemagne, dit Manno Charlemagne (ou Chalmay, en créole haïtien) est un auteur-compositeur-interprète engagé et homme politique haïtien, né à Port-au-Prince (Haïti) en 1948 et mort le 10 décembre 2017.

Exilé pendant une partie des années 1980 et 1990, il a été maire de Port-au-Prince de 1995 à 1999.

Sous la dictature des Duvalier

Manno Charlemagne naît en 1948 à Carrefour, dans la périphérie sud de Port-au-Prince. Il ne connaît pas son père ; sa mère travaillant à Miami, il est élevé par sa tante. Toutes deux chantent des airs traditionnels, que l’enfant Manno reprend. Son style musical sera aussi influencé par les artistes haïtiens (Dodof Legros, Lumane Casimir, Issa el Saieh (es), Raoul Guillaume, Gérard Dupervil, Pierre Blain, Joe Trouillot, Guy Durosier (es), Toto Bissainthe, Ansy Dérose) et nord-américains (Louis Armstrong, Billie Holiday) qu’il écoute à la radio, par les chansons des ruraux venus à la ville et le rara qu’il entend dans la rue, ainsi que par sa participation à la chorale de son école, tenue par les Frères de l’instruction chrétienne.

Comme de nombreux Haïtiens, il subit les exactions des tontons macoutes, miliciens au service du dictateur François Duvalier ; il connaît ainsi la prison et la torture en 1963, à l’âge de 15 ans. Côtoyant des gens de lettres et des artistes (tels que Lyonel Trouillot, Richard Brisson et Anthony Pascal, dit Konpè Filo), il se forge une culture politique en lisant des ouvrages de Maxime Gorki et d’Antonio Gramsci.

À partir de 1968, il forme Les Remarquables, un mini-djaz (« mini-jazz », groupe de musique influencé par le rock), puis se tourne davantage vers la musique traditionnelle, avec une nouvelle formation, Les Trouvères5. Ainsi, dans les années 1970, Manno Charlemagne prend part au mouvement Kilti Libète (« Culture Liberté ») de retour à une musique populaire, acoustique, voire folk ; la tradition twoubadou (« troubadour ») de la musique des campagnes haïtiennes est remise à l’honneur.

En 1978, avec le musicien Marco Jeanty, il enregistre à Port-au-Prince un premier album, Manno et Marco, constitué de chansons angaje (« engagées »), dont la diffusion sur Radio Haïti-Inter connaît un grand succès.

« La politique c’est pour les anges
C’est pour les gens qui ont un nom

Et c’est pour la grande société. »

— Manno Charlemagne et Marco Jeanty, « Zanj », Manno et Marco, 1978.

Exils

Ouvertement opposé à la dictature de Jean-Claude Duvalier, Manno Charlemagne s’exile le 4 juillet 1980. Vivant entre New York, Montréal, l’Afrique et Paris, il enregistre Konviksyon (1982) et Fini les colonies ! (1984), dont les chansons deviennent des hymnes contestataires en Haïti.

« Quand tu rêves la nuit exilé de ton île
Entends-tu tous ces cris ces rumeurs de ta ville ? »

— Manno Charlemagne, « Le mal du pays », Fini les colonies !, 1984.

De retour en Haïti le 7 mars 19868, un mois après la chute de Duvalier, il fonde la Koral Konbit Kalfou, groupe de mizik rasin (en) (« musique racine », mêlant les influences du vaudou haïtien, de la musique traditionnelle et de genres contemporains) avec lequel il parcourt le pays. Il constitue une figure importante de la contestation politique sur l’île. En décembre 1987, alors qu’il sort de chez lui pour interpréter « Nwel anmè » (« Noël amer », une chanson composée par Beethova Obas, membre de la Koral Konbit Kalfou, pour honorer les manifestants massacrés un mois auparavant par la nouvelle junte au pouvoir), Manno Charlemagne essuie des coups de feu ; il est grièvement blessé. Il publie l’année suivante un nouvel album, Òganizasyon mondyal.

« Si Ayiti pa forè
Ou jwenn tout bet ladan-l ? »

« Si Haïti n’est pas une jungle
Que font là toutes ces bêtes ? »

— Manno Charlemagne, « Ayiti pa forè », Òganizasyon mondyal, 1988.

Il soutient Jean-Bertrand Aristide lors de la campagne présidentielle de 1990 et, suite à sa victoire, devient l’un de ses conseillers. En octobre 1991, après un coup d’État contre le président Aristide, Manno Charlemagne est arrêté violemment à deux reprises puis relâché, grâce à la pression d’organisations de défense des droits de l’homme (Amnesty International, Miami’s Haitian Refugee Center) et une campagne de presse aux États-Unis demandant sa libération. Craignant une nouvelle arrestation, il se réfugie à l’ambassade d’Argentine à Port-au-Prince8. Le réalisateur Jonathan Demme, qui a connu Manno Charlemagne en 1988 lors du tournage de son documentaire Haiti: Dreams of Democracy, organise une campagne internationale, « Americans for Manno », afin d’exiger que le chanteur et sa famille puissent quitter Haïti en sécurité. C’est finalement l’ambassadeur argentin Orlando Sella en personne qui accompagne le chanteur jusqu’à l’aéroport de Port-au-Prince, le 29 décembre 1991 : Manno Charlemagne s’envole pour Miami. C’est le début d’un nouvel exil de trois ans, pendant lequel l’artiste diffuse sa musique engagée, à l’occasion de multiples concerts….

Source : Wikipedia