— Par Elsa Dorlin —
La philosophe Elsa Dorlin répond au président français sur sa rhétorique « féministe », qu’elle estime douteuse, et sur ses préjugés sur la surnatalité du continent.
Les propos sur la natalité en Afrique tenus par Emmanuel Macron lors du sommet du G20 à Hambourg, le 8 juillet, ont été quasi unanimement qualifiés de racistes. Le président français s’est-il ressaisi au Burkina Faso le 28 novembre ? Non, il a sciemment abordé de nouveau le sujet, sous une autre forme, et il s’agit ici de comprendre pourquoi ; pourquoi aurait-il été trop coûteux de renoncer à parler des « femmes africaines », qui ne sont qu’un butin rhétorique cher à la politique française ?
Les termes utilisés à Hambourg par le chef d’Etat pour appréhender cette question étaient marqués d’un passé impérial qui continue d’imposer l’ordre du discours sur « l’Afrique ». En parlant de « défi civilisationnel », Emmanuel Macron comprenait les enjeux de la « transition démographique » et, en la matière, il rendait hommage à l’un de ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy, qui, dans l’amphithéâtre de la prestigieuse université Cheikh Anta Diop de Dakar, s’était senti totalement légitime d’expliquer à « l’homme africain » comment s’extraire du temps cyclique de la nature, où il n’y a pas de place ne serait-ce que pour « l’idée du progrès ».
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Devant ses homologues, ce jour de juillet, Emmanuel Macron déclarait : « Quand des pays ont encore sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider de dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien ». Les femmes, donc ; cette fois, ce sont les femmes africaines qui sont visées, comme leur enlisement dans le temps cyclique de la reproduction sans limite ; ces ingrates Africaines à la sexualité débridée et irresponsable, assimilées, en somme, à des femelles n’ayant aucune conscience des investissements consentis – la dite « aide au développement » – pour qu’elles arrêtent enfin de lester ce continent d’enfants qui en diffèrent l’entrée dans l’Histoire.
Ce « vous pouvez décider de dépenser des milliards », c’est en fait un « nous » (nous, les pays riches qui supportons ce fardeau de l’aide et de la philanthropie paternaliste), c’est l’argent de la France et du monde (puisque l’Afrique n’en est pas, de ce monde, elle qui n’a d’autre destin que de constituer le souci majeur de son avenir, le boulet du développement, l’en dehors de la civilisation).
« La force noire »
On aura beau rappeler, sources, archives et études à l’appui, qu’il s’agit là d’un des lieux communs les plus éculés de la gestion coloniale des populations et que la France a constamment activé dans son propre intérêt ce mythe de la surpopulation des territoires colonisés, rien n’y fait. Pourtant, depuis la période esclavagiste, la gestion du cheptel humain s’est matérialisée dans diverses technologies politiques qui ont savamment entravé ou, au contraire, encouragé sa reproduction selon les cours, les flux et les circuits de la traite. Puis, après l’abolition de l’esclavage, la rationalisation de la manne économique d’un lumpenprolétariat racialisé a contraint les ex-colonisés à des conditions « contractuelles » de travail inhumaines, à une division raciale du travail assignant les uns à la terre et à sa rentabilisation avant que les grandes réformes économiques liées à la transformation de certains territoires en parcs à touristes en décident autrement…
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